Instances

Chapitre 7 - Le gros bazar

Gregor se frotta les yeux. Il luttait contre le sommeil depuis Carcassonne. Par chance, l'autoroute était dégagée à cette heure-ci. Sa liste aléatoire Spotify avait choisi la reprise par White Zombie de Children of the Grave, et le chasseur de primes balançait la tête avec la rythmique bien lourde. Il essayait de ne penser à rien car il savait que dès demain, il devrait être au meilleur de sa forme. Il avait fait ses bagages en vitesse, sans omettre de prendre ses armes, modernes ou plus exotiques. Il avait contacté Fouad, un autre voyant qui résidait dans le centre de Montpellier. Il ne s'était pas vu depuis trois ou quatre ans, mais il ne doutait pas que son vieux pote lui apporterait son aide. Margot n'avait pas pu lui donner plus d'indication qu'une maison de belles dimensions quartier La Chamberte. Pas évident de trouver une faille dans ces conditions. La sorcière lui avait assuré que celle-ci avait été créée spontanément et que, par conséquent, elle ne bénéficierait d'aucun artifice pour être dissimulée. Margot semblait plus préoccupée par les autres spécialistes qui se rendraient sur place en même temps que Gregor.

Le chasseur de primes n'était pas plus inquiet que cela. Il avait l'habitude de gérer ce type de situations, et il n'était pas sans défense.

Il gara sa Volvo sur le parking de l'hôtel. Vite installé, il choisit d'évacuer la tension de la route grâce une bonne douche. Les yeux fermés, Gregor laissa l'eau ruisseler sur sa peau. Il se tenait sous le jet d'eau chaude, la vapeur s'élevant autour de lui. Dans cet oasis de tranquillité, il focalisa son esprit sur les aspects les plus subtils de son environnement extérieur. Le poids de son corps lui sembla s'atténuer, comme si le monde s'évaporait. Ses pensées erraient sans contrainte, à la recherche de perturbations de la réalité autour de lui. Il avait perfectionné cette technique au fil des années, faisant de lui un Voyant particulièrement perspicace.

Il ne parvenait pas à visualiser les rues de la ville dans leurs détails, comme aurait pu le faire la sorcière, mais il voyait des points ou l'énergie du monde avait été fissuré. Des dizaines et des dizaines de failles plus ou moins naturelles, plus ou moins importantes. Les plus modestes d'entre elles ne faisaient que quelques centimètres. A moins d'être un rongeur, elles n'avaient aucune incidence. Mais il en existait d'autres à taille humaine, et certaines avaient été créées à dessein, et dissimulées. D'autres encore, ne donnaient plus sur rien, les voyants disaient qu'elles étaient stériles. Gregor savait qu'il n'était pas capable de discerner les plus subtiles d'entre elles, tissées par des sorciers trop habiles pour lui.

Et il y avait... ça.

Gregor lutta pour garder sa concentration. Il cherchait un terme exact et ne trouva que « gros bazar ». Ce n'était plus une faille, à ce niveau. Depuis sa cabine de douche, le chasseur de primes percevait une lame de pure énergie magique qui fracturait une maison en deux.

Il éteignit le jet d'eau, la main légèrement tremblante. Il se sécha et piétina en se parlant à lui-même. C'était quoi, le meilleur plan ? Il s'habilla pour sortir. Vêtements street-wear et sombres, chaussures confortables et aux semelles silencieuses. Il n'aurait pas besoin de Fouad pour se diriger dans la ville ou enquêter sur quoi que ce soit. Il suffisait de suivre la lumière ! Il prit son sac à dos ergonomique et ses deux armes favorites du moment : un Sig Sauer P210 avec plaquettes en bois quadrillé, ainsi qu'une dague aiguisée des deux côtés qu'il avait récupéré dans une instance culturellement éloignée de tout ce qui se faisait sur Terre. Sa lame bleutée ressemblait à de l'acier décorée de gravures, mais Gregor n'aurait pas juré qu'il s'agissait d'un métal existant ici.

"Bsr Margot. Je vais direct vers la faille. C'est un truc énorme, je la perçois alors que je suis à plusieurs km ! Mais qu'est-ce qui s'est passé bordel ?"

Il glissa son téléphone dans la poche à soufflet de son pantalon. Il sortit de l'hôtel avec ses affaires qu'il rangea dans le coffre de sa voiture. Il gara cette dernière sur une place de parking non payante, non loin de l'hôtel. Il ne savait pas combien de temps durerait son escapade, s'il devait s'aventurer dans une instance. Il était à peu près trois kilomètres à pied. D'une marche rapide, il se rapprocha de la maison. Parfois, il humait l'air, en se concentrant sur son pouvoir. Une sorte de grésillement magique planait dans l'air, comme avant un orage, sauf que cela n'avait rien à voir avec la météo. Gregor passa en mode furtif lorsqu'il se jugea proche de la faille démesurée. Il restait dans l'ombre, en longeant les portails et les grillages des jardins. Le quartier présentait de nombreuses maisons individuelles, et il ne doutait pas que la maison serait l'une d'elle.