COMMANDEUR SPENGLER

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Une corneille majestueuse fendait l'air. Ses ailes noires, scintillantes sous les derniers rayons de soleil, ondulaient dans le ciel, tandis qu'elle planait au-dessus de la cime des arbres. Guidée par la force de l'habitude, elle repérait sa destination : une petite maison isolée, cachée par une haie qui aurait eu besoin de se faire tailler. Avec une agilité surprenante, l'oiseau plongea vers le sol, traversant les obstacles de verdure jusqu'à atteindre le jardin tranquille. D'un battement d'ailes final, il se posa sur une branche, observant avec curiosité une Humaine en train de gesticuler sur la terrasse, à côté du barbecue.

Posée au fond du jardin, la corneille remit en place les plumes de ses ailes en quelques coups de becs précis. Toilette anodine pour certains, signe d'un agacement en réalité. L'Air-Bnb n'avait pas séduit grand monde, en pleine canicule et bien trop loin de l'océan, et la corneille avait apprécié son calme et son isolement. Ce soir, il y avait une voiture de location. Les fenêtres étaient ouvertes.

La jeune femme terminait ses exercices de cross-fit. Cela n'impressionna pas la corneille. Pourtant, l'Humaine avait une musculature parfaite, fine, et bien dessinée. Elle essuya son visage luisant de sueur. Elle avait un visage régulier et charmant, avec une mâchoire volontaire, des lèvres magnifiques et pleines, une expression butée, et la peau sombre.

L'Aspirante Harris retourna dans la bicoque. Elle comprenait la prudence du Commandeur néanmoins, c'était vraiment un endroit pourri. Elle avait l'impression de se retrouver dans un vieux film français, avec les tapisseries hideuses et une cuisine vintage. La jeune femme se rendit dans la salle de bain et ferma la porte.

A l'intérieur de l'une des chambres, le Commandeur Spengler éteignait son ordinateur. Il resta quelques secondes au repos afin de rassembler ses idées. Il se massa les tempes, la mâchoire contractée et les paupières closes. Les instructions du Premier Secrétaire étaient claires et précises, mais elles ne lui plaisaient pas. Pourtant, il obéirait.

Spengler étira sa grande carcasse et se leva. Sa cuisse bandée le faisait souffrir. Il s'appuya normalement sur sa jambe. Cette douleur, il l'appréciait. Grâce à elle, il gardait à l'esprit son échec face à l'Hostile 24. Il avait refusé tout antidouleur pour cette raison : ne jamais perdre de vue l'importance de sa mission. Le Premier Secrétaire le lui avait répété. Rien ne devait interférer. Il faudrait tout mettre en œuvre afin de retrouver l'Hostile 24 et bien évidemment, la fille.

Il enfila un t-shirt propre en martyrisant ses coutures tellement il était massif. Il enfila avec précaution un pantalon treillis. Il prit ensuite son pistolet semi-automatique, un poignard militaire et plusieurs chargeurs.

Il attrapa ses Ray-Ban et les clefs de la voiture de location.

– Harris, on décolle.

La jeune femme était prête. Elle-même équipée pour sortir, elle ne posa aucune question. Ce fut le Commandeur Spengler qui lui apporta une explication, une fois en route.

– Le Premier Secrétaire n'est pas surpris que nous n'ayons rien trouvé au domicile de l'Hostile 24. Le ménage a été fait.

– Et la prochaine étape, monsieur ?

– Nous allons chez son frère.

L'aspirante Harris ne réagit pas. Personnellement, elle n'avait aucun avis. Cette opération était l'occasion qu'elle attendait pour montrer à la Fondation de quoi elle était capable.

La voiture retrouva un axe routier plus utilisé. Le Commandeur Spengler roulait avec prudence, et en silence. Il le rompit cependant, car Harris avait le droit de savoir.

– Wagner est en route pour la France. Il va nous rejoindre.

– Wagner... Le, Wagner ? demanda Harris, stupéfaite.

– Oui, lui-même. Ordre du Premier Secrétaire. Selon lui, nous aurons besoin de lui.

– Wagner a une réputation... Je ne savais pas que la Fondation permettait aux aberrations de quitter nos locaux. Il portera un collier de rétention ?

­– A quoi servirait-il, avec un collier anti-magie ? Mais je suis bien d'accord avec vous, aucune de ces choses ne devrait quitter nos structures. Ce sont des monstres dangereux.

– Le Premier Secrétaire doit avoir ses raisons, pour nous l'envoyer...

Le Commandeur Spengler ne répondit pas. Selon lui, le Fondation se souillait à utiliser ces sorciers renégats. Leur place était sur un bûcher, ou dans leurs laboratoires sécurisés. Wagner avait un statut spécial. Sa loyauté envers la Fondation était douteuse, mais il avait rendu de nombreux services par le passé... et il n'avait jamais disparu alors qu'il en avait eu la possibilité. Pourtant, son caractère instable et ses psychoses faisaient de lui un outil à double tranchant.

Spengler agrippa le volant de la voiture de location comme s'il voulait l'arracher. Il n'avait pas besoin d'aide. Aujourd'hui, il comptait bien retrouver la trace de l'Hostile 24, même s'il devait pour cela bousculer les proches du Voyant. Rien ne devait interférer, avait dit le Premier Secrétaire.

Parfait, alors.

Rien n'interfèrerait.


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Notes de l'auteur :

La tension monte. Jusqu'ici, les héros ont eu "la belle vie". J'exagère bien sûr. Mais quand même, les problèmes arrivent, de partout !

A celles et ceux qui se demandent qui est le dénommé Wagner, je vous réponds avec l'honnêteté qui me caractérise : un chic type ! :D ^^

Merci de me lire, et promis, le prochain chapitre arrive bientôt, je dirais mercredi si tout se passe bien ! Au menu, Gregor et Yimito, loin de l'action... mais pas tant que ça !

(Et  un grand merci à celles et ceux qui continuent à commenter, et à voter !)

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