Instances

Chapitre 8 - Le guerrier extra-humain (1/2)

Il faisait toujours nuit, mais Gregor était certain d'avoir quitté le sud de la France. Il piétinait une herbe grasse et humide. Il leva les yeux vers le ciel orageux et sans nuage. Le créateur de cette instance avait choisi un décor inquiétant. L'immense jardin était grêlé de statues en piteux état, pour la plupart effondrées. La végétation ne semblait répondre à aucune logique. Les arbres se balançaient comme animés de volonté propre, et Gregor n'aurait pas été surpris de les voir se déraciner afin de fondre sur lui. Au loin, la silhouette rectangulaire d'une demeure victorienne décrépite se dessinait dans l'horizon. Le chasseur de primes observa autour de lui, indécis. Mais lorsque la porte de la maison s'ouvrit, il sut vers ou il devait regarder.

Un homme venait de sortir, et il courait dans sa direction. Bondissait, eut été le mot le plus juste. Gregor plissa les yeux. L'homme se rapprochait beaucoup trop vite... et il avait les bras longs, vraiment très longs. Le voyant sortit son pistolet semi-automatique et attendit que l'homme se rapproche. Les jambes écartées et l'arme pointée, il visait avec application. Un premier tir atteignit l'homme au ventre. Ce dernier grogna et il continua sa course. Encore quelques bonds, et il serait sur Gregor. A présent, les longues griffes qui terminaient ses mains aux phalanges hypertrophiées étaient bien visibles. Gregor tira une seconde fois mais, ému par la vision monstrueuse, il manqua sa cible. L'homme monstrueux était parvenu à son niveau. Une bouche aux proportions impossibles découpait son visage déformé par la rage. Gregor vida son chargeur. Les balles claquèrent dans la nuit.

L'homme monstrueux, frappé de plusieurs projectiles, termina sa course en roule-boulant sur lui-même. Gregor se recula par précaution, mais il semblait bien avoir tué l'apparition. Il remit un chargeur plein et réfléchit. Margot n'avait pas été très précise. Il devait retrouver l'auteur de cette maudite faille. Elle pensait qu'il devrait traverser une succession d'instances pour cela, sans garantie. Toutes instables et inaccomplies, selon la sorcière. Elles étaient l'œuvre d'un novice, probablement inconscient de son talent. Le chasseur de primes se pencha sur le cadavre. Une flaque sombre imprégnait la pelouse. Il le retourna. Une parodie de visage humain, issu d'un cauchemar, avec la bouche qui partait d'une oreille jusqu'à l'autre. Les traits de l'homme monstrueux étaient précis, et Gregor ne doutait pas qu'il existait une version normale sur Terre, cauchemar réel du créateur de cette instance. Il sortit son téléphone et photographia le cadavre ainsi que le paysage aux alentours. Cela servirait peut-être à Margot.

Après une fouille minutieuse, Gregor dénicha une photo froissée dans la veste du cadavre. Rien d'autre. Il y avait deux femmes qui posaient dans une salle à manger, avec les reliefs du repas terminé. Probablement la mère et sa fille, vue la ressemblance. Les deux tiraient la gueule. La mère avait le regard terne et épuisé. Plutôt jolie, elle avait une tenue quelconque, et n'était pas coiffée. Sa fille, une mignonne petite ado à la bouille renfrognée, fixait l'objectif avec des yeux inquiets. Une blondinette avec des mèches roses, et deux épais traits de khôl.

– Alors c'est toi, la responsable de tout ce bazar ?

Bien évidemment, la jeune fille de la photo ne lui répondit pas. Mais Gregor était satisfait de savoir qui il recherchait. Cela ne pouvait être qu'elle. Pas la mère, trop âgée pour découvrir son pouvoir. Une jeune fille désorientée, qui avait découvert son pouvoir lors d'une expérience traumatisante. Dans cette maison qui accueillait une soirée, les occasions ne manquaient pas.

Le chasseur observa la maison, au loin, puis le reste du parc. C'est alors qu'il aperçut une seconde faille, à même le sol. Elle devait avoir englouti la jeune fille. Quand l'homme monstrueux s'était pointé, aurait-il parié. Gregor essaya de ne pas penser à tous ceux qui avaient pu traverser la première faille par inadvertance. La plupart avaient dû finir déchiquetés par les griffes du Ricaneur. Le chasseur aimait nommer les choses qu'il voyait et il avait beaucoup d'imagination pour cela. Ricaneur, ça définissait bien l'horreur dégingandée qui s'était précipitée sur lui.