Chapitre 5 - Bouleversement magique

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– Tu ne fermes pas la porte à clefs ?

– Non, ne t'inquiète pas, personne ne viendra nous déranger. Pas même les enfants. Mais il va falloir faire attention car ma petite nièce est rentrée dans le bureau.

– La gamine minuscule ? Elle a quoi, deux ou trois ans ?

– Quatre. Elle est rentrée et elle est ressortie sans même se rendre compte que c'est anormal. C'est une voyante, comme moi.

– Ou une sorcière... Il faudra que j'ai une petite conversation avec elle, quand j'aurai le temps.

– Tu m'étonnes ! Je vais lui parler dès aujourd'hui, moi...

De nombreux voyants n'avaient pas le temps de comprendre leur pouvoir, et ils disparaissaient encore jeunes à travers une succession d'instances, sans jamais pouvoir retrouver leur chemin. Ces disparitions avaient contribué à la légende sombre des sorciers et de leurs associés, les voyants. Gregor n'était que trop conscient du danger potentiel pour sa nièce. Il devait l'empêcher d'emprunter une faille plus ou moins dangereuse ; elle pouvait ne jamais revenir...

– En tous cas, tu vas devoir sécuriser les failles de mon bureau secret. Je n'ai pas envie de la voir débarquer chez moi, à Bordeaux.

Gregor et Margot se dirigèrent vers le vieux poster de Depeche Mode punaisé au mur, vestige de l'adolescence du chasseur de primes. Ils disparurent à l'intérieur de la faille située entre la penderie et la fenêtre qui donnait sur le grand jardin. Au loin, on apercevait les vignes dans la campagne de la Brède.

En fait de bureau secret, il s'agissait d'une véritable seconde maison. Gregor y entassait tous ses trésors de voyages, ses richesses et ses souvenirs. A l'origine accessible seulement de la maison familiale, Margot lui avait créé une faille qui donnait sur son appartement bordelais, ainsi que deux ou trois autres, bien utiles... Les sorciers créent rarement des endroits exigus, car la taille n'avait que peu d'importance dans le processus créatif. La difficulté était ailleurs. Il s'agissait d'une instance très ancienne, et Margot soupçonnait qu'elle avait évolué avec le temps, se libérant peu à peu des règles temporelles de son créateur initial. Le bureau était constitué de cinq pièces. Toutes carrées, une centrale, avec une porte sur chaque mur pour ouvrir sur les quatre autres. La faille de la maison Von Pfaehler, donnait sur un immense fourbi dans lequel Gregor avait entassé toutes les affaires de sa mère, elle-même voyante. Il n'avait pu se résoudre à détruire tous ces artefacts d'un autre âge. Un corbeau imposant les observait, figé sur une branche décorative.

– Salut Alphonse, dit Gregor en caressant l'oiseau empaillé, tu as foutu la trouille à Iris. Pas gentil, ça.

– Je pourrais te créer un corbeau vivant, qui resterait à l'intérieur du bureau. Garantie sans crotte et pas besoin de le nourrir.

– Très peu pour moi...

Ils quittèrent cette pièce un peu particulière pour la salle centrale. Le parquet sentait éternellement bon la cire d'abeille. Les murs étaient encombrés de lourdes étagères dans lesquelles Gregor classait ses trouvailles. Au centre de la pièce, un immense tapis perse sur lequel trônait une table basse. Tout autour, des canapés confortables et dépareillés. Il n'y avait pas de fenêtres, mais un immense plafond de verre. Une armature métallique en plomb soutenait le plafond, œuvre d'art à part entière, témoignant de la maîtrise artisanale des siècles précédents. Derrière ses lignes élégantes et ses détails finement ciselés, le ciel bleu et ensoleillé apportait une lumière perpétuelle et gaie.

Les deux amis s'installèrent sur les canapés.

– Bon, explique-moi.

La sorcière se tortillait sur le canapé, nerveuse.

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