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Chapitre 9 - Indice 6759 sur l'échelle de Chamblers

Derrière la vitre légèrement teintée, le Premier Secrétaire observait le personnel de la Fondation se restaurer dans l'une des salles de pause spacieuses et confortables. Il était à l'origine de l'installation des cafetière italiennes et de la machine à glace, originaire du même pays. Trois choix, vanille, fraise, ou les deux parfums mélangés dans une crème onctueuse et ondulée. Le Premier Secrétaire savait que les jeunes gens appréciaient le sucre, et lui appréciait d'avoir des employés redevables.

Immobile, le vieil homme resta plusieurs minutes dans la contemplation de cette activité de pause. Un sourire figé et satisfait étirait sa peau blanche et veinée, tendue à cause de sa maigreur extrême. Dans la salle à manger, les conversations avaient baissé en nombre et en intensité. Tous avaient remarqué la silhouette filiforme et haute du Premier Secrétaire. Son costume cintré le faisait apparaître comme un héros de Tim Burton, un épouvantail sinistre. Mais personne ne s'était permis de plaisanter sur le sujet. Tous craignaient et admiraient le Premier Secrétaire, cet homme souriant qui avait voué sa vie à défendre les idéaux de la Fondation.

Aussi soudainement qu'il s'était figé pour observer les employés, en n'esquissant pas le moindre geste durant de longues minutes, le vieil homme reprit sa route dans les couloirs. Lui-même ne mangeait jamais dans cette salle réservée au personnel, ni dans les salles privées utilisées par les cadres. Il avait néanmoins pour habitude de rejoindre les personnes avec qui il désirait s'entretenir pour partager une tasse de thé, après le déjeuner. Lorsque ses obligations de représentation l'amenaient à prendre un repas avec des interlocuteurs importants, il picorait dans une salade et quelques fruits secs. Il avait acquis une certaine habileté pour remuer un plat de viande avec son accompagnement sans avoir mis plus de trois fourchettes à la bouche.

Le Premier Secrétaire prit l'ascenseur pour le dernier étage, où il avait fait installer son bureau quand il avait choisi cet immeuble. Au troisième étage, un jeune homme en costume entra à son tour, le nez sur son portable. Il ne se rendit compte que lorsque les portes furent fermées qu'il était tout seul avec le patron.

– Monsieur le Premier Secrétaire, bonjour ! Veuillez-me pardonner, je ne vous avais pas vu.

– Il n'y a pas de mal, agent Johnson. Votre petite fille travaille t'elle bien à l'école ?

Abigail avait six ans... Elle travaillait autant qu'une gamine de cet âge pouvait le faire. L'agent Johnson n'en revenait pas que le Premier Secrétaire se rappelle de l'existence de sa fille. Il ne savait pas si c'était une bonne ou une mauvaise chose.

– Je vous remercie Monsieur. Oui, Abigail est très sage et appliquée. Nous sommes fiers d'elle.

– Bien...

Cinquième étage, l'agent Johnson s'empressa de quitter l'ascenseur, non sans avoir salué le dirigeant. Le vieil homme lui rendit son salut par un sourire qui se voulait avenant.

Edna, la secrétaire, connaissait parfaitement l'emploi du temps de son patron. Le thé était prêt, et les stores descendus afin que la luminosité ne soit pas trop importante pour la visioconférence.

Le Premier Secrétaire s'assit à son bureau et disposa son carnet de note ainsi que son stylo-plume. Il entra en visioconférence à la minute même ou celle-ci était programmée. Parfaitement dans les temps. Le vieil homme appréciait cette exactitude. Le temps, selon lui, était la véritable richesse d'un être humain. Sa maîtrise, le summum.

Le visage massif du commandeur Spengler, qui surmontait un cou plus épais encore, apparut en plein écran.

– Bonjour, Monsieur le Premier Secrétaire. Je suis au rapport.

– Bien, votre trajet depuis Paris n'a pas été trop long ?

– Non, Monsieur. Évidemment nous aurions pu instancier le trajet, comme entre Washington et Paris, cela aurait été idéal, mais il y avait un vol direct.