Chapitre 18 - La première faille (2/2)

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– Allez, arrête de faire l'andouille et concentre-toi.

Lucy gloussa et se rendit au centre de la clairière. Elle ferma les yeux et commença à visualiser son environnement. Elle tira un fil imaginaire devant elle. Bien que cela ne soit pas nécessaire, elle fit le geste de fendre l'air devant elle.

– J'ai créé la faille, dit-elle, les yeux fermés.

Margot écarquillait les yeux, stupéfaite.

– Tais-toi. Tu ne peux pas parler et utiliser ta magie en même temps.

Lucy se tut mais ne comprenait pas les règles de son mentor. Bien sûr, elle imaginait que sa concentration devrait être à son maximum, quand l'opération serait complexe. Elle ne l'était pas actuellement. Découper une faille, ce devait être le truc de base... Elle vit les fils ouverts et sentit la présence mentale de Margot à côté d'elle. Il s'agissait de la silhouette de formatrice, mais bleutée et transparente, et veinée de légères pulsations électriques. « Trop cool ! » pensa-t-elle.

« Il ne doit rester aucun fil volant, tu dois tisser une faille propre. »

« D'accord, après je rentre dedans et je fais l'instance ? »

« Oui... Tu vas faire ça. »

Margot ne lui dit pas qu'elle avait prévu deux ou trois jours d'entrainements intensifs afin de réaliser une faille à peu près correcte. Apparemment, rien ne résistait à la blondinette. La sorcière se réjouit d'avoir mis la main sur elle avant tout le monde. Quant à savoir si elle deviendrait une alliée, une arme ou un gros problème, il fallait attendre.

Pressée de montrer de quoi elle était capable, Lucy appliquait à la lettre tout ce que lui avait dit Red Head dans la journée. Les fils de magie se pliaient quand elle y pensait, elle avait l'impression d'avoir tissé une faille toute sa vie... Et pourtant, il s'agissait de sa première création consciente. La faille lui semblait nickel. Elle avait serré son tissage autant que possible et plus rien ne bougeait. Sans attendre, elle visualisa l'embryon d'instance et débuta la composition magique à proprement parlé. De temps à temps, elle demandait un conseil à la forme éthérée de Margot. Celle-ci la pressait de ne pas parler. Normalement, il n'était pas possible de s'exprimer durant le processus.

Enivrée par sa création, Lucy fabriqua sa première instance véritable durant les trois heures qui suivirent. Elle tissait le plus vite possible, une idée après l'autre, en essayant des choses, puis en les effaçant pour partir dans une autre direction. Quelque fois, elle créa des blocs complets, qu'elle modifia par petites touches ensuite. Margot l'observa, en silence. Lorsque la jeune fille eut terminé, elle sortit de ce qui aurait dû être une transe, mais qui ne l'avait jamais été.

– Margot, je sais que tu as tout regardé par la pensée, mais tu peux visiter ! J'ai fait un truc bien délire !

– J'irai voir demain. Tu dois être épuisée, et je le suis aussi.

La sorcière avait la gorge sèche. Les muscles de son dos s'étaient noués et elle avait un début de migraine. Lucy comprit qu'il ne valait mieux pas insister. Les deux sorcières rentrèrent comme elles étaient arrivées par le petit chemin. Perdue dans ses pensées, Margot ne remarqua pas ses trois chats qui venaient à leur rencontre. La sorcière réfléchissait à ce qu'elle avait vu, et elle ne savait pas quoi en penser.

Ce dont elle était certaine, c'est que jamais un ou une novice n'avait montré autant de facilité pour ce qui ne l'était pas. Elle-même, qui était crainte et respectée par nombre de sorciers, il lui avait fallu plusieurs années pour créer une instance du niveau de « l'exercice » de Lucy. Et la gamine n'avait mis que trois heures. Trois heures... Bordel de merde !

La sorcière rousse se retourna. Lucy fit les « V » de la victoire avec les deux mains, avec une mimique de collégienne. Margot lui fit un petit geste, en espérant que son appréhension ne se voyait pas sous la nuit étoilée. Pas son appréhension, s'avoua-t-elle. Sa peur. Elle pouvait se le dire.

De son côté, Lucy jubilait. Elle avait attrapé le gros Gaston et le portait comme un bébé. Le gros patapouf se laissait faire ! Trop génial, la création d'instance. Tout ce qui lui passait par la tête, ça apparaissait ! Les fils de magie grésillants couraient au rythme de sa volonté. Elle savait qu'elle avait chié quelques détails, et elle espérait que sa formatrice ne lui en tiendrait pas rigueur. D'abord parce qu'elle débutait ! On ne pouvait pas demandait à une bleue de faire tout bien dès la première fois. Ensuite, c'était pas noté. Elle n'était plus au lycée et elle s'en tapait si elle avait merdé sur certains aspects. En plus, elle n'avait rien réfléchi au préalable. Elle avait tout fait au feeling, et il faudrait que Red Head ait la classe de lui reconnaitre ça. Enfin, elle pouvait revenir demain pour l'améliorer. Et l'agrandir encore.

Enfin, demain... Après San-Francisco !

Surexcitée par son expérience, Lucy reposa le chat et courut sur le chemin, puis sur la plage, en poussant des cris joyeux.

Margot l'observa. Pire qu'un malaise, elle sentait la panique s'insinuer en elle. Elle se demandait si elle n'avait pas fait la pire bêtise de sa vie. Peut-être qu'elle n'avait pas les épaules pour s'occuper de cette fille ? Peut-être pas, c'était évident ! La Fondation ne devait jamais mettre leurs sales pattes sur Lucy, mais elle savait que s'ils avaient pressenti ce qu'elle avait vu cette nuit, ils ne reculeraient devant rien. Pas même faire du mal à des Aveugles innocents afin de les retrouver. Margot avait du mal à respirer, et elle sentit la transpiration couler le long de sa colonne vertébrale.

C'était sa première crise de panique.

Lucy courut jusqu'à elle hors d'haleine. Elle éclata de rire.

– Tu fais une de ces tronches ! Tu n'es pas du soir, toi !

Euphorique, la jeune fille embrassa sur la joue cette femme qu'elle ne connaissait pas encore la veille au matin. Elles rentrèrent dans la villa et se couchèrent presque aussitôt. Lucy, avec des rêves plein la tête, ivre des possibilités infinies qu'elle entrevoyait pour son existence. Margot, quant à elle, eut du mal à s'endormir. Il fallait trouver une solution. Peut-être qu'elle devrait adopter la seule attitude raisonnable, et sans risque ? Et régler le problème cette nuit-même durant son sommeil ? Elle avait honte de ses pensées... mais elle ne pouvait s'empêcher les avoir.


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Notes de l'auteur :

Pour l'instant je tiens le bon rythme avec les parutions. Pourvu que ça dure ! Merci pour vos commentaires, et ravi de constater que la relation Margot/Lucy vous plaise... même si elle promet de ne pas être si évidente que cela !

En tous cas, de mon côté, j'aimerais bien avoir une faille qui me permette d'aller à San Francisco instantanément ^^

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