Chapitre 16 - Cours du soir

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Les deux jeunes femmes étaient assises sur le sable doré de la plage, baignées par les reflets scintillants du soleil couchant sur l'océan. Leurs silhouettes se détachaient contre le fond orangé du ciel. Toutes les deux gardaient le silence, le regard perdu dans l'écume. Lucy avait les genoux remontés sous le menton, et les orteils enfoncés dans le sable humide et collant. Ses mèches roses dansaient autour de son visage détendu. Elle manquait terriblement de sommeil, mais après tout ce que lui avait dit la Sorcière, elle se sentait incapable de dormir. A côté d'elle, Margot réfléchissait. Elle n'avait jamais entrepris la formation seule et complète de l'un d'entre eux. Elle prenait sur elle afin de paraître calme et sereine, comme si elle était en parfaite harmonie avec l'univers. Il valait mieux que la gamine se figure qu'elle maitrisait parfaitement la situation... Un chèche bariolé était noué autour de son cou, témoignant de la légère fraîcheur venue avec la tombée du jour. Entre les deux femmes, Gaston était assis, lui aussi. Bien droit, il regardait l'océan. De temps en temps, il se lavait rageusement une partie de son pelage tigré. Mais il restait avec les Humaines, dans la même attitude contemplative.

– J'ai froid au cul, finit par dire Lucy, en rompant le silence. On pourrait pas rentrer ?

Margot essaya de soupirer avec discrétion.

– Si tu veux. Juste avant, pourrais-tu me résumer ce que je t'ai dit ?

– Tout ?

– Non, pas tout, je ne suis pas ta prof de maths, ne t'inquiète pas. Tu fais ton entrée dans la communauté la plus libre des univers.

– Encore heureux, madame Corentin est une sacrée... euh, pénible.

Lucy se retint de dire une nouvelle vulgarité. Elle n'était pas avec ses amis. La sorcière rousse paraissait jeune, comme Gregor, mais ses grands yeux verts cernés de khôl possédaient une sagesse qui n'avait pas d'âge. Peut-être que les apparences étaient trompeuses ? Ou alors Lucy délirait, comme d'habitude.

– Donc, qu'as-tu appris, ces dernières heures ?

– Il existe des instances simples, genre figées, de toutes les superficies, que les sorciers peuvent créer selon leur bon vouloir.

– Exact. Et ton talent sera de les rendre aussi détaillées et autonomes que tu as envie. Et tu devras aussi décider de leur accessibilité.

– Les instances ont toutes des règles différentes, mais il y a quelques trucs qui ne changent jamais.

– Oui, quoi ?

– On ne peut pas créer de vies intelligentes et autonomes. On maitrise l'espace, mais pas facilement le temps ! Les humains que l'on créé dans nos instances sont des Peons, prisonniers de leur rôle. Ils n'évoluent pas, les cons. Ils ne vieillissent pas, disent et font toujours la même chose, et repartent à zéro, c'est ça ? A chaque fois que tu retournes dans l'instance.

– Exactement. Quoi d'autres ?

– Je peux créer autant d'instances que je veux, tant qu'elles sont stables, et même des instances dans des instances. Certaines sont simples et retournent à l'identique une fois qu'on les a quittées, d'autres peuvent accueillir des objets de l'extérieur, d'autres, les plus complexes, évoluent dans le temps.

– C'est le cas de ma résidence. Ma villa et ce qu'elle contient s'usent. Et je dois retravailler dessus de temps à autre car sinon tout serait délabré. Mais toi, tu ne peux pas modifier mon instance, si tu voulais réparer le toit, par exemple, tu devrais changer les tuiles manuellement.

Lucy comprenait surtout que Margot était super douée et puissante. Mais ça, elle l'avait capté depuis le début.

– Il appartient aussi au sorcier de créer des failles étanches, et discrètes. Et c'est d'ailleurs l'élément le plus technique de notre tissage magique. Tu ne t'en es pas rendue compte, mais il y a des failles dans la villa, dissimulées et seulement visibles par moi. Je t'apprendrais à faire usage de ta magie pour rendre tes failles aussi imperméables et discrètes que possible, et de créer des interdits et des lois pour celles-ci.

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