Prologue

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— Allez oust va t'en de là !

Les bras fouettant l'air, Nonna s'active pour chasser cet intrus venu perturber le calme méridien.

Préoccupée par son ennemi d'un jour, elle ne me remarque pas arriver, valise en main et sourire amusé. Je laisse tomber mon bagage dont le bruit libère ma grand-mère de sa tourmente. La mouette s'envole en emportant avec elle la mine sévère de Nonna pour laisser place à son sourire radieux.

— Ma chérie ! s'exclame t-elle en règlant son sonotone avant de me tendre ses bras usés, rentrons vite manger un bout et ensuite tu te reposeras. Ne t'inquiètes pas ça va aller. enchérit-elle, ses bras verrouillés autour de moi alors que nous marchons vers l'entrée.

Le regard posé sur cet écrin de sérénité, mon coeur se réchauffe de bonheur pendant que mon esprit affligé se charge de tous les souvenirs tissés au fil des années.

Ecrasée par les habitations auxquelles elle est jumelée, elle se révèle modeste aux yeux de tous. Dans mon coeur, il en est tout le contraire. Spectatrice de nos moments complices avec mes grands-parents, elle s'est enrichie de nos éclats de rires, des découvertes et connaissances de Papé, de moment de doutes et d'écoutes de leurs oreilles attentives et compréhensives devenues maintenant sourdes de murmures. Mais surtout d'amour. Un amour inconditionnel qui m'a permit de devenir celle que je suis aujourd'hui.

Plus qu'une maison, elle est devenue mon refuge.

Et Dieu sait combien j'ai besoin d'un refuge aujourd'hui.

Le seuil de la porte nous accueille de l'odeur alléchante du repas venant caresser mon appétit qui naît instantanément.

Nonna, comme toute grand-mère, veille toujours à ce que je ne manque de rien et surtout pas de nourriture. Trop soucieuse de mon confort, elle me laisse à chaque visite sa chambre au profit de son canapé convertible.

"C'est comme vivre une seconde jeunesse" vous dirait-elle.

Assises autour de la table, nous nous régalons du festin qu'elle a préparé avec tant d'amour. Des fragments de souvenirs, éclats de rire et tintement de couvert plus tard, je pars me reposer.

Ressourcée, je sors sur la terrasse et pince mes lèvres en voyant la silhouette de Nonna sur la plage face aux flots.

Disparu tragiquement avec son équipage lors d'un naufrage en mer, le départ de mon grand-père a été un tsunami dans nos vies. Telle l'ancre qui n'a jamais trouvé le sable, sa perte a alourdit nos cœurs de son absence, pesant encore sur notre quotidien. La mer m'a pris mon deuxième père mais surtout le grand premier et dernier amour de Nonna. La force de ses mots qui se veulent réconfortants n'est rien comparé à l'immensité de son chagrin. Dix ans après, il la pousse encore à scruter l'horizon dans l'espoir de voir se dessiner les contours du bateau qui lui ramènera son mari pour le prendre dans ses bras une dernière fois.

Le cœur serré, je chasse les nuages de ma tristesse et la rejoins. Je pose délicatement ma main sur son épaule pour ne pas l'effrayer puis l'enlace.

— Tout va bien Nonna ?

— Bien sûr ma chérie. répond-elle en me prenant par le bras pour commencer à marcher.

A chacune de mes visites, c'est notre petit rituel. Le sable chatouille nos pieds, l'eau vient les rafraîchir quand nos esprits voyagent à travers le temps. Riche des anecdotes sur son passé avec Papé ou en tant que femme indépendante, nos balades sont une vraie expédition mentale et d'une vertue thérapeuthique insoupçonnée.

— Merci Nonna de m'accueillir. Je te promets que je ne te décevrai pas.

Elle s'arrête brusquemment et me fait pivoter pour ancrer ses yeux dans les miens.

Le Phénix - Consumation [TOME 1]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant