L'écho du passé

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Tout le long du trajet je laisse Ezio à ses pensées. Ne voulant pas l'assaillir de questions et le cabrer, je préfère attendre qu'il se calme et lui laisser le temps de s'ouvrir à moi sur ce qu'il s'est passé.

Une fois arrivés à l'appartement, toujours dans le silence, nous nous préparons des sandwich en guise de dîner. Je l'avale sur le pouce et commence à monter pour aller me coucher quand Ezio m'interpelle.

— May attends, je te dois une explication pour tout à l'heure.

— Si tu n'es pas prêt à m'en parler, je comprendrai. Je ne veux pas que tu te sentes obligé de te justifier sur tes émotions, tu as le droit de les ressentir.

— Je ne me sens pas obligé, j'en ai envie et j'en ai besoin pour avancer.

A ses mots, je le rejoins dans le canapé où il est assis.

— Cette musique qu'on a écouté dans le magasin tout à l'heure était là même musique que ma mère me fredonnait en me berçant le soir pour m'endormir.

Il s'éclaircit la gorge déjà gagnée par l'émotion puis serre mes mains dans les siennes.

— J'étais tout petit quand ma mère est décédée, j'avais trois ans mais pourtant son souvenir ne m'a jamais quitté. Je me rappelle de sa douceur, de son rire, de sa tendresse. Ce sont comme des flash dans ma tête baignés de lumière et de chaleur comme si je ressentais encore son amour à travers ces souvenirs. L'amour d'une mère pour son enfant est indescriptible, inégalable mais surtout le lien entre une mère et son fils est quelque chose d'extraordinaire. Comme je te l'ai dit je n'avais que trois ans et pourtant j'arrivais à ressentir tout ça, ressentir son amour infini pour mon frère et moi, ressentir la force du lien qui nous unissait. Malheureusement à cet âge là on ne comprend pas les subtilités des adultes ni leur émotions. Ma mère avait la joie de vivre mais elle avait également en elle une tourmente tempétueuse. Elle pouvait autant rire que pleurer certains jours. Alors quand je la voyais dans cet état, je lui apportais des fleurs. Des Lys plus précisément « ce sont ses fleurs préférées » m'avait soufflé Giuseppe. A chaque fois qu'une larme coulait sur sa joue ou que son visage s'obscurcissait, je lui offrais un Lys. Puis comme les mots lui manquaient, elle s'asseyait dans son rocking chair, me prenait sur ses genoux et je me lovais dans ses bras. Elle nous faisait écouter cette berceuse à travers une boîte à musique puis nous restions silencieux quelques instants, le temps que ma mère efface ses larmes de son magnifique sourire. Quand elle est morte, sa chambre était remplie de Lys. Je m'en rappelle car c'était la première et dernière fois que nous avions le droit d'y entrer. À l'instant où nous avons franchi la porte, le parfum délicat de la fleur enivrait nos narines. C'est pour dire à quel point elle se sentait malheureuse mais comme les enfants que nous étions, nous ne comprenions pas sa détresse et ce qui la causait.

Ezio pose un silence puis au bout de quelques secondes, reprend.

— Père ne nous a avoué la cause de la mort de notre mère qu'une fois que nous étions tous les deux majeurs. Pour lui c'était signe que nous étions assez matures pour entendre la vérité, même si finalement je la connaissais déjà mais que je l'avais refoulé tant le souvenir était douloureux et traumatisant.

C'était une journée ensoleillée, elle commençait comme les autres, maman était souriante et plus rayonnante que jamais. Sa tourmente avait l'air d'être un lointain souvenir. Dans l'après-midi, un son familier m'a réveillé de ma sieste, c'était celui de la boîte à musique qui jouait ma berceuse. Curieux et déjà un peu casse-cou à cet âge là, j'ai escaladé mon lit à barreaux et me suis dirigé au son de la musique. J'en ai ensuite trouvé la source. J'ai poussé la porte de la salle de jeux où nous avions pour habitude d'aller quand maman n'allait pas bien. A peine l'avais-je entrouverte que mes yeux se sont posés sur son rocking chair qui se balançait sans personne dessus puis quelque chose sur la droite a attiré mon regard.

Il s'arrête net submergé par l'émotion. Je le prends dans mes bras et le réconforte en serrant mon étreinte. Après quelques minutes il se recule et une fois calme reprend son récit.

— Sur ma droite le corps de ma mère se balançait en hauteur. Sans vraiment comprendre ce que je voyais, j'ai crié « maman! » ce qui a alerté les domestiques. Très vite, on m'a écarté de la scène et laissé dans un silence et une ignorance totale. Avec Giuseppe on a été mis de côté et quelques heures après on a enfin vu mon père arriver dans la pièce, le visage bouffi par les larmes et totalement désemparé. C'est là qu'il nous a annoncé la mort de ma mère. Sans vraiment nous en dire plus sur les circonstances, on a dû faire notre deuil comme nous pouvions avec les armes que nous avions à l'époque. Comme je te disais, c'est seulement à 18 ans que j'ai su la cause de sa mort. Ma mère souffrait de dépression postpartum depuis ma naissance. Elle a su se battre pendant trois ans mais ce jour-là sa tourmente a pris le dessus la poussant à mettre fin à ses jours ne trouvant pas sa bouée de sauvetage. C'est à ce moment là que j'ai compris le comportement de mon père vis à vis de moi. Dès l'instant où ma mère est morte, il m'a complètement rejeté et a déversé toute sa colère sur moi. Il me tenait responsable de la mort de ma mère et m'en veut encore aujourd'hui. Le jour où j'ai perdu ma mère j'ai également perdu mon père et c'est mon frère qui m'a élevé. Il m'a pris sous son aile et sans lui je n'aurai pas aussi bien évolué.

Entendre de nouveau cette musique m'a ramené à tous ces souvenirs douloureux et à raviver la blessure loin d'être cicatrisée. Je dois t'avouer également quelque chose. Le jour où j'ai su de quoi ma mère était morte, je me suis fais la promesse de ne jamais devenir père pour ne pas que ma compagne souffre comme ma mère a souffert. Alors quand tu m'as annoncé être enceinte, c'est aussi pour ça que j'ai pris la fuite. Je ne pouvais pas me pardonner de ne pas avoir respecté ma propre promesse. Puis quand je suis revenu et que j'ai vu la détresse dans ton regard et la peur que je t'avais infligé par mon absence j'ai su que j'avais été égoïste et ne m'étais pas rendu compte que tu souffrirais plus de ne plus être avec moi plutôt que d'avoir ce bébé. Alors mon amour, pardonne moi encore pour ce que j'ai fait et sache que quoi qu'il arrive je te soutiendrai et serai à tes côtés. Tu m'es trop précieuse pour que je te néglige ou te délaisse quand tu as le plus besoin de moi.

Émue aux larmes je plonge dans ses bras. Il resserre les siens autour de moi et nous restons l'un contre l'autre pendant un moment.

— Je suis tellement désolée que tu aies dû endurer tout ça, tu ne le méritais vraiment pas.

— Ça m'a forgé et fait de moi l'homme que je suis aujourd'hui. Même si ça a été dur et que j'aurai aimé que ça se passe autrement, il ne faut pas être désolé pour moi.

— Tu es d'une telle résilience.

— Quelqu'un qui m'est cher m'a dit un jour : m'apitoyer sur mon sort me servirait à quoi ?déclare t-il en me faisant un clin d'œil, ça ne fera ni revenir ma mère ni mon frère et encore moins me faire avancer.

Je le regarde partagée entre tristesse et fierté puis l'embrasse tendrement.

Après une trentaine de minutes passées à regarder la télé, nous décidons d'aller nous coucher. 

Encore enlacée par les bras de Morphée, je perçois une voix lointaine qui devient de plus en plus proche et forte.

— May, putain May réveille-toi ! 

Le Phénix - Consumation [TOME 1]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant