23. Nijie - 2024.

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Perchée sur une branche assez haute, Nijie était penchée entre deux arbres afin de mieux capturer le léger filet d'eau qui s'échappait d'entre les rochers. 

Elle admira le rendu de l'image sur son camescope 4K microphone intégré reçu pour son anniversaire. Son père avait fait une folie, mais Nijie ne pouvait s'empêcher de jubiler : jamais les cascades de Kijoka, pourtant son endroit favori sur terre, ne lui avaient parues si belles. 

Elles n'avaient pourtant rien de très impressionnant, mais c'était justement leur simplicité qui enivrait la jeune fille. De plus, l'endroit était calme dû à sa faible fréquentation. Les seules personnes que la lycéenne était susceptible de rencontrer étaient des pèlerins, et Nijie trouvait cette solitude bienheureuse. 

La jeune fille jeta un coup d'œil au ciel : il commençait à se faire tard. Elle soupira et descendit de l'arbre avec prudence avant de fourrer son camescope dans son sac et retourner près de son vélo, qu'elle enjamba pour prendre le chemin de son village.

Elle n'avait honnêtement pas très envie de rentrer, et avait profité de la fin de l'année scolaire et donc de l'arrêt du club de tir à l'arc dont elle faisait partie, pour filmer quelques plans. Ce n'était pas qu'elle n'aimait pas rentrer chez elle, mais son père était souvent occupé, sa mère ne rentrait que les week-ends, et Nijie attendait ces jours-ci une réponse qui définirait son avenir. 

En effet, la jeune fille avait préparé depuis des mois sa candidature pour entrer à l'université Wesleyan, en Nouvelle Angleterre, aux Etats-Unis, afin d'y étudier le cinéma. Si le lycée était une paire de manches, elle avait l'impression de n'avoir jamais autant travaillé de sa vie pour une admission. 

D'un côté, elle rêvait d'être acceptée et de tout quitter pour réaliser son rêve. D'un autre, cela l'effrayait un peu de quitter Okinawa et ce qu'elle avait toujours connu, même si elle savait qu'elle n'accomplirait jamais rien si elle restait dans son petit village si paisible.

Nijie arriva justement à destination. Elle sourit comme à chaque fois en voyant le panneau d'entrée : « A 80 ans, on est encore un gamin. A 90 ans, si la Mort vient nous chercher, on la renvoie en lui disant d'attendre jusqu'à 100 ans. Nous, plus on vieillit, plus on est plein d'entrain ! ». 

Le village où Nijie avait grandi était bien curieux, car la majorité des habitants étaient des séniors, et nombre d'entre eux étaient centenaires. C'était la raison pour laquelle sa famille avait emménagé à Ogimi. La clinique était vide, et Emon, le père de Nijie, avait souhaité la reprendre pour s'occuper des habitants. Une tâche qu'il avait prise à cœur, et Nijie était profondément attachée à son village et sa population atypique. 

La jeune fille était d'ailleurs beaucoup plus à l'aise avec ces personnes âgées amusantes et remplies d'énergie qu'avec les gens de son âge qu'elle côtoyait au lycée de Hentona. La plupart des élèves de sa classe la jugeaient étrange, que ça soit pour le fait qu'elle vive dans un village perdu habité essentiellement par des vieillards ou pour ses ambitions artistiques. 

Dans tous les cas, Nijie était bien contente que ces années touchent à leur fin. Et si elle était acceptée à Wesleyan, elle pourrait fréquenter des personnes comme elle, qui vivaient à travers l'art. Cette pensée lui donnait l'envie et le courage de tenter sa chance.

Nijie passa la grande maison traditionnelle à l'entrée du village. Elle huma l'air pour sentir les effluves du repas qu'on préparait pour les habitants les plus âgés. Elle avait presque envie de les rejoindre pour goûter au délicieux tofu shikwasa dont elle devinait l'odeur, mais elle passa son chemin pour traverser les rues tapissées de petites maisons typiques aux toits de tuiles rouges et aux potagers où avaient élu domicile de succulents légumes, avant d'arriver jusqu'à la clinique de son père. 

L'Étincelle des Ombres - La Trilogie Sans-Frontière 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant