L'Étincelle des Ombres - La Trilogie Sans-Frontière 1

36. Nijie - 2034.

Assise en tailleur sur le lit de la chambre de Glover-en qu'elle occupait depuis deux semaines, Nijie observait le mur d'en face. Pour quiconque entrerait dans la pièce, elle semblerait en pleine méditation. Mais il n'en était rien, Nijie ne s'interrogeait pas sur les tenants et aboutissants de la vie, les grandes questions de l'univers, mais sur ses propres actions et responsabilités.

Toute sa vie, elle avait cru n'être qu'une simple Frontière, une personne parmi tant d'autres en attente que son rêve se réalise, pour qu'il disparaisse et qu'elle passe le reste de ses jours à trouver une raison d'être. Une humaine en somme toute banale. 

Mais voilà qu'elle était une Sans-Frontière, et ce depuis un moment. 

Quand son pouvoir s'était-il déclaré exactement ? Et surtout, comment avait-elle fait pour ne se rendre compte de rien ? Elle repensa aux mots de Koen, aux longues discussions à sens unique qu'ils avaient eu depuis son arrivée. 

Le télépathe faisait tout pour comprendre son pouvoir et y avait apporté quelques réponses malgré l'état apathique de la jeune fille qui n'engageait pas la conversation, trop plongée dans le choc, le chagrin et le désarroi.

Nijie regarda la paume de sa main et s'imagina y voir pousser une flamme ou une plante. Ça aurait plus simple si son pouvoir avait été visible. Koen l'avait comparée à un aimant à énergies : elle s'accrochait sans le vouloir aux énergies alentours, généralement des personnes, et soit puisait dans leur énergie, soit transmettait la sienne. 

Nijie avait déjà fait les deux. Elle repensa à son pauvre père, à cette matinée où elle s'était réveillée épuisée et sans pouvoir bouger. Elle avait sciemment imaginé son père se lever et avait reproduit ses gestes. Elle n'avait pas pensé une seule seconde que ce moment scellerait le destin d'Emon.

Nijie se retint de pleurer, elle avait déjà versé tant de larmes depuis son arrivée... Pendant les trois années de maladie de son père, elle avait été certaine d'être là pour lui, de faire de son mieux, pour finalement lui happer ses forces durement acquises.

« Tu nous as pompé l'air », avait dit sa mère. Ses mots résonnèrent dans l'esprit de Nijie rendu creux par le deuil. Elle avait toujours cru qu'Anri avait fait preuve de méchanceté gratuite, de lâcheté dû à son propre comportement face au cancer d'Emon, mais et si elle avait su ? 

Nijie avait littéralement pompé l'air de son père, après tout. Il lui avait tout donné, il était le héros de son enfance, et elle lui avait rendu tout cet amour en le tuant. Pour ensuite assassiner l'une des seules amies qu'elle avait jamais eues.

Le regard heurté et accablé qu'Elinor lui avait lancé parmi les flammes lui revint en tête et elle eut envie de creuser sa propre tombe. 

Pourquoi n'avait-elle pas pu continuer à se vider de son énergie pendant que son père allait de mieux en mieux ? Pourquoi ce revirement ? Elle aurait sauvé les gens qu'elle aimait si elle avait pu mourir à la place d'Emon.

Un flash lumineux l'aveugla, et Nijie leva les yeux vers un homme habillé d'une simple chemise noire sur un pantalon tout aussi sombre.

— Nohena Nijie, 28 ans, née à Naha, Okinawa, Japon, déclara-t-il d'une voix grave avant de baisser son appareil photo.

La jeune femme cligna plusieurs fois des yeux pour se débarrasser des points blancs qui barraient sa vision. L'homme sourit et s'assit face à elle, dans le fauteuil qu'occupait souvent Koen.

— Vous étiez tellement perdue dans vos pensées que vous ne m'avez pas entendue entrer..., reprit l'homme, son regard amusé tentant de s'ancrer dans le sien.