L'Étincelle des Ombres - La Trilogie Sans-Frontière 1

32. Koen - 2034.

« Gauche, non droite, entre les deux dernières rangées, sur le sol », dirigea Koen à son acolyte depuis l'extérieur du cinéma. Il leva un œil éteint vers le haut du bâtiment qui commençait à se répandre en fumées. L'enseigne du cinéma grinça avant de s'écrouler avec fracas contre le trottoir. Du coin de l'œil, il vit la silhouette de la manipulatrice de feu disparaître au loin.

« Ah je la vois ! », répondit la voix enjouée de son compère, et Mochizuki Ryuhei ressortit du cinéma quelques instants plus tard à sa vitesse fulgurante habituelle, l'exploitante du cinéma endormie dans les bras.

— Elle respire encore, assura-t-il.

Koen opina du chef et adressa un sourire crispé à Mochizuki. La fidèle Toyota Camry du télépathe prit une embardée dans la rue avant de freiner face à eux. Nahashi Kato en ressortit, vêtu de son éternel habit noir d'encre. Il jeta un regard rapide à Nijie avant de hocher la tête avec politesse vers Mochizuki. Celui-ci lui déposa Nijie entre les bras avant que Kato ne l'installe à l'arrière du véhicule. Koen se massa l'arête du nez, sentant le mal de tête pointer.

— Merci, déclara Koen à l'intention de Mochizuki. Et n'oublie pas...

— Pas à un mot à qui que ça soit, je sais, l'interrompit l'autre avec un sourire. Je sais ce que je te dois, Senpai.

Koen lui lança un sourire sincère. Il n'avait honnêtement pas envie de manipuler le Sans-Frontière pour assurer ses arrières.

— J'espère que tu ne t'ennuies pas trop dans ce trou, lança-t-il d'un ton amusé, et Mochizuki s'inclina avec respect.

Il prit le volant du véhicule et fuit les lieux avant que des passants ne quittent l'immeuble enflammé à quelques rues pour constater la perte de leur cinéma.

Koen jeta un bref coup d'œil dans le rétroviseur intérieur. Nijie était confortablement installée sur la banquette, et il put se concentrer sur son chemin. Kato fut étonné quand Koen prit la direction de Kawasaki, la ville voisine à Tokyo, au lieu de monter vers le quartier Akabane, où Koen avait établi ses quartiers dans la capitale.

— On ne s'arrête pas à Akabane ? interrogea Kato.

— Non, je veux rentrer, décréta Koen, les yeux rivés sur la route.

Ils passaient l'arrondissement d'Ota, et Koen retint un frisson de dégoût quand la voiture s'embarda dans le quartier Den-en-chofu.

— Y'a seize heures de route jusqu'à Nagasaki, Koen-kun, argumenta Kato avec son calme olympien.

— Ça nous donnera plein de temps pour faire la conversation, ironisa Koen.

— Tu n'aimes pas parler, moi non plus. Et en plus t'es crevé.

Koen gesticula sur son siège, mal à l'aise.

— J'ai besoin de réfléchir, dit-il.

Kato tourna la tête vers l'extérieur, et n'insista pas. Koen l'entendit bientôt se perdre dans le paysage étincelant des lumières nocturnes, et il le remercia silencieusement.

Son collègue avait raison, Koen était épuisé. Il avait déjà fait la route aller, et malgré les quelques heures de sommeil grappillées dans ses appartements à Akabane, il n'avait pas franchement récupéré. Mais ils étaient arrivés à temps, grâce à Mochizuki. Koen était reconnaissant envers le postier d'avoir accepté sa demande de s'installer à Shimokitazawa. Il savait que le Sans-Frontière à la vitesse indétrônable se sentait redevable envers lui, mais pour le coup, il les avait bien aidés malgré l'accueil plus que mitigé qu'il recevait dans le quartier Frontière. Obliger les autorités à accepter sa poste Sans-Frontière avait pris du temps et un travail consciencieux, mais ça avait porté ses fruits. Nohena Nijie était maintenant en route pour Nagasaki, la seule ville entièrement Sans-Frontière du Japon. Koen soupira tandis qu'ils quittaient Tokyo pour suivre Kawasaki. La route allait être longue, mais Koen n'avait aucune envie de rester dans la capitale plus longtemps. Il avait adoré Tokyo, autrefois, et il se rappelait son appartement dominant Harajuku avec nostalgie, mais les choses avaient changé.