4. Sei - 2024.

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Sei faisait les cent pas dans l'appartement. Déjà 16h, et Kazuhei n'était toujours pas revenu. Et si...

« Trouvé un boulot, je rentre tard », s'inséra soudainement la voix de son cadet dans son esprit, suivie d'une vague de calme dont lui seul avait le secret.

Sei put enfin respirer normalement. Il n'aimait pas savoir Kazuhei seul dehors, même si son cadet savait se défendre. Et plus égoïstement, il n'aimait pas rester seul. L'enfermement se faisait d'autant plus ressentir quand il n'avait personne avec qui partager l'espace. 

La seule manière de passer le temps, c'était la peinture ou les émissions de pêche. Il avait beaucoup pêché quand ils vivaient sur la côte, mais le retour à la ville signifiait l'arrêt de son activité favorite, et il allait devoir se contenter de ses pinceaux et son carnet à dessins.

Sei se posa près de la fenêtre et jeta un œil au dehors. 16h... les derniers touristes faisaient leurs emplettes et se dépêchaient de quitter les lieux avant la nuit tombée. Le jeune homme réfléchit un moment, et se précipita vers la chambre. Il sortit de sous l'un des deux lits la peinture qu'il avait finie il y a peu. 

Un globe terrestre prenait toute la toile, et représentait seulement de l'eau. Aucune trace de terre sur ce globe. Aucun humain. Sei frémit en se rappelant la vision qui lui avait montré cette image drastique vue du ciel. Ce jour-là, il avait malgré lui provoqué un tremblement de terre dans le village où ils avaient élu domicile, et ils avaient dû de nouveau déménager le lendemain. Ça arrivait quand il perdait complètement le contrôle. 

Le champ magnétique qui entourait chaque Sans-Frontière faisait alors des siennes et bouleversait la nature environnante.

Sei écarta son visage du tableau et réfléchit un court instant. Kazuhei était au travail, il rentrerait tard... à quelle heure exactement ? 

Il ferma les yeux et s'imagina appuyer sur un bouton. Il vit Kazuhei dans un konbini, vêtu d'un tablier, s'afférer auprès de divers clients dans des gestes saccadés dû à la vitesse accélérée de la vision. Finalement, Kazuhei jeta un œil vers l'horloge du magasin.

Vingt-deux heures.

Sei avait le temps.

Il rouvrit les yeux, le souffle court, et s'assit sur son lit. Il reprit doucement sa respiration.

Si Kazuhei était là, il aurait passé un sale quart d'heure. Il détestait qu'il provoque ses visions, il était déjà arrivé que ça fasse effet domino et que les visions non désirées, apocalyptiques au possible, se faufilent dans son esprit.

Sei enveloppa sa peinture avec attention et sortit de l'appartement. La fratrie n'avait pas mis les pieds à Tokyo depuis dix ans, et trouver sa route serait compliqué, mais il répétait sans cesse l'adresse qu'il avait trouvée sur le net. Ça n'était pas tout à côté et il aurait besoin de prendre le métro. 

Le masque sur le visage, la casquette enfoncée sur la tête, il espérait qu'une vision ne ferait pas une apparition soudaine et qu'il ne provoquerait pas de scène.

Les passants commençaient à changer dans les rues de Kabukicho. Les pachinkos commençaient à ouvrir et les adolescents sortaient pressés des karaokés. Sei n'avait pas vu autant de population depuis... jamais. Il avait toujours vécu dans l'ombre, caché. Sa mère et son beau-père avaient d'abord fait croire à sa disparition quand il avait six ans. 

Puis la fuite avec Kazuhei lui avait permis de sortir un peu, mais ils avaient rarement vécu dans des grandes villes. Et quand bien même, il n'avait quasi jamais mis les pieds en plein cœur d'Osaka et de Kyoto. 

L'Étincelle des Ombres - La Trilogie Sans-Frontière 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant