« J'remercie la zermi d'avoir fait de moi ce que je suis, avec tout ce que mon cœur aime et tout ce qui me réjouit. Tout ce qui me donne envie, ce qui m'attache à la vie, tout ce qui fait garder la foi et supporter la survie. Tu peux recompter les jours vécus, t'en es la somme. J'suis là pour braver les épreuves et la mentalité de l'Homme. Tantôt on est fort, tantôt on faiblit, tantôt on se souvient, tantôt on oublie. »
Je règle le réveil sur mon téléphone et vois un nouveau message sur l'écran... Je l'ouvre :
« C'est toi que je regardais »
C'est quoi ce message ?
Voilà la première question qui m'est venu à l'esprit. Je ne comprends pas le but de ce message... Certes, avec Omran, on s'est rapproché mais à quoi il joue là ? Il a un comportement ambigu avec moi depuis cette après-midi.
Son SMS m'a perturbé... En fait, je suis totalement perdue... Je ne sais pas quoi lui répondre... En fin de compte, je ne vais pas lui répondre. Peut-être que mon abstention lui fera comprendre qu'il m'a déstabilisé.
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Le lendemain, je n'ai pas été en cours car Sofya était malade, donc je l'ai amené voir le médecin du quartier.
Le diagnostic de notre toubib : une petite angine, et sa recommandation : beaucoup de repos pour ma princesse.
Bien sur, Nahla n'a pas voulu aller à l'école, bien trop inquiète de voir son double pâlir à cause de la maladie qui l'avait envahi. J'ai passé ma journée auprès d'elles, à les dorloter et les cajoler de câlins.
J'ai boycotté mon portable durant cette journée... Du coup, quand j'y ai enfin repensé, j'avais de nombreux appels en absence ainsi que quelques SMS, dont un de Omran :
« Ness c'est mon mess qui ta fait fuir les bancs d'la fac ? Si c'est ça oublie c'que j'tai dis j'voulais pas t'faire flipper ! Et arrête de faire ta Beyonce et rep à mes appel »
Je n'ai pas eu le temps de lui répondre qu'il était déjà en train de me rappeler...
- Moi : Allo
- Omran (avec une voix de zemel (*PD*)) : Oui bonjour, pourrais-je parlé à Mademoiselle Désirée, 1er du nom, s'il vous plait ?
- Moi : C'est pas très drôle Omran !
- Omran : T'en a mis du temps Beyonce, j'aurais pu mourir avant que tu t'manifestes !
- Moi : Non mais j'ai pas calculé mon tel. Sofya est malade, du coup elle passe avant tout le reste
- Omran : Allah y chafiha, rien de grave j'espère ?
- Moi : Amine. Nan t'inquiètes, c'est juste une petite angine, dans deux trois jours elle ira mieux In cha Allah
- Omran : In cha Allah, ça doit être bien calme chez toi sans cette pile électrique pour foutre le bordel !
- Moi : Oui mes p'tits bébés, je crois qu'elles ont jamais été aussi calme. Bon Omran, c'est pas que j't'aime pas mais j'vais te laisser, je dois aller m'occuper d'mes princesses
- Omran : Ok fait leur un zou-bi d'la part de tonton Omran
- Moi : Pas de soucis tonton Omran, ça sera fait
- Omran : Hey Ness
- Moi (hésitante) : Oui ?
- Omran : T'as vu le message que j't'ai envoyé là ?
- Moi : Ouais
- Omran : Oublies, j'sais qu'ca t'as perturbé donc zappes ok ?
- Moi : Nan mais c'est pas ça, juste j'ai pas compris tu vois ?
- Omran : Vas-y, on en reparle un autre jour
- Moi : D'accord
Je redoutais ce moment, j'espérais qu'il n'aborde pas le sujet, c'est raté ! Je ne me prends pas plus la tête que ça, il finira bien par m'expliquer.
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Les jours défilent et je n'ai pas été en cours de toute la semaine. Ma sœur passe avant et, d'ailleurs, elle va beaucoup mieux. Donc, dès lundi, elle réintègre l'école et moi avec si je ne veux pas raté mon année !
C'est samedi soir, ce qui signifie que chez moi il n'y a personne.
Tout le monde a déserté le foyer familial pour vaquer à ses propres occupations. L'union familiale n'est plus et elle ne fait pas le poids face aux charmes des boîtes de nuits et aux dollars qu'offre la street (*rue*) de la nuit.
Je suis fatiguée de courir derrière un souvenir trop lointain, qui rappellerait à mes frères et ma sœur qu'il fut un temps nous étions tous unis...
Je déteste le dimanche, plus que n'importe quel autre jour de la semaine. Il me rappelle trop Yemma. C'était son seul jour de repos et elle le partageait avec sa famille, avec toute la fatigue qu'elle accumulait tout au long de la semaine. On l'a laissé dormir jusqu'à dix heures puis on allait tous la réveillé en sautant dans son lit. Puis, elle se levait pour nous préparer sa spécialité pour le petit déjeuner, des sfenj (*beignets*). Nous partagions ce repas ensemble.
A présent, seul son fantôme flotte dans les pièces de la maison, il s'ondule au gré de nos souffrances... Désormais, la seule chose que nous partageons ensemble, c'est la peine d'avoir perdu un être cher...
Ton organisme a cessé de vivre, ton cœur a cessé de battre, tes poumons de se remplir, tes yeux de nous regarder, ta voix de nous combler de douces paroles, tes bras de nous enlacer. Tu as prononcé le dernier souffle de la vie et plongé ton corps dans cette hibernation constante. Le temps s'est figé depuis que tu nous a quitté.
On peut fuir toute sa vie mais la mort finit toujours par nous rattraper... Nous avons tous une échéance fixe... Chacun dans l'attente de son heure...
Plongée dans mes pensées, j'étais en train de préparer le petit déjeuner pour les jumelles quand Khadija a fait son entrée dans la cuisine. Je dois en profiter pour avoir une conversation avec elle :
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- Moi : Salam a3leykoum Khadija
- Khadija : A3leykoum salam
- Moi : On peut parler un peu ?
- Khadija : Ness, j'te l'dis de suite, si c'est pour m'faire une leçon de moral, oublies !
- Moi : Je veux juste comprendre comment on en est arrivée là, toi et moi ?
- Khadija : C'est pas compliqué...
J'ai touché un point sensible...
- Moi : J'me suis confiée à toi Khadija. Tu sais à quel point je vis mal la mort de Yemma. Mais toi, tu n'en parles jamais. A chaque fois, tu détournes la discussion ou tu te braques. T'as changé, t'es plus la même depuis son départ, t'enchaînes les conneries. Je veux juste t'aider
- Khadija : Si t'as des facilités tant mieux pour toi mais moi j'veux pas en parler !
- Moi : Tu vois tu te braques direct ! Je sais que ça te fais autant de mal qu'à moi mais Yemma est parti, on y peut rien, c'était la volonté d'Allah
- Khadija : Pourquoi tu ramènes toujours tout à la religion ?
- Moi : Allah nous a crées pour que nous l'adorions, je me dois de tout rapporter...
Elle ne m'a pas laissé finir ma phrase :
- Khadija : Stop j'veux pas parler de ça... C'est pas compliqué, je crois plus en Dieu. Il m'a fait trop de mal. D'abord en m'enlevant ma mère, puis en détruisant ma famille. Alors ton Dieu il peut aller se faire foutre !
- Moi : Tu dis ça sur le coup des nerfs mais Dieu éprouve les gens qu'il aime. Tu devrais te sentir honorer qu'il t'envoie ces épreuves. A toi de faire tes preuves pour qu'il t'ouvre les portes de son vaste paradis
- Khadija : Non mais je crois plus en Dieu. J'ai pris de nouvelles résolutions. Je vis ma vie au jour le jour. Je me soucis pas du lendemain. De toute façon, s'il existait il m'aurait pas arraché le cœur en m'enlevant ma reine. J'ai imploré son aide, j'ai pleuré sur ce tapis pour qu'il épargne la vie de Yemma mais il me l'a quand même retiré. Pourquoi l'écouter alors qu'il a fait le sourd ? Non j'y crois plus khlass (*stop*). Pour moi, l'homme a inventé la religion pour nous diviser, donc je fais mon chemin sans me soucier du reste. Ça te plait pas ? Bah écoute ma3lich (*pas grave*)
Elle a pris son verre de jus puis est partie, comme à chaque fois. Il n'y a plus de conversation possible avec Khadija. Ses paroles m'ont blessé... Comment peut-elle penser ainsi ? Elle a oublié tout ce que nos parents nous ont inculqué sur la religion, sur les épreuves de la vie, la patience, la foi...
« Il en est parmi les gens qui adorent Allah marginalement. S' il leur arrive un bien, ils s' en tranquillisent, et s' il leur arrive une épreuve, ils détournent leur visage, perdant ainsi (le bien) de l' ici-bas et de l' au-delà. Telle est la perte évidente!» (Coran, 22 : 11).
Bercée de désillusion, tu t'accroches aux joies que cette vie veine à t'offrir. Iblis est ton pire ennemi. Pourtant, tu t'obstines à t'accrocher à lui ? Il t'a amadoué en t'inculquant d'innombrables pêchés qui ont finit par te faire dévier du droit chemin. Écorché vif, il a profité de ta faiblesse du moment pour décrocher la bonté qui caractérisait le plus profond de ton être, en la remplaçant par de la haine... Cette haine a finit par t'infiltrer et elle manipule chacune de tes pensées, chaque parole prononcée résonne comme un affront. Le diable t'a tendu sa corde, en lui contant tes plus grandes frustrations, il a acquis ton âme et son fossoyeur creuse déjà ta tombe.
« Parmi les plus étranges faits que connaîtront les habitants du Feu figurera le discours que prononcera Iblis et qui renforcera encore plus le remords, le chagrin et les malheurs des gens du feu. Le Coran comprend ce discours :"Lorsque le décret aura été décidé, le démon dira :"Dieu vous a certainement fait une promesse vraie, tandis que je vous ai fait une promesse que je n'ai pas tenue. Quel pouvoir avais-je sur vous sinon celui de vous appeler ? Vous m'avez répondu. Ne me blâmez donc pas, blâmez-vous vous-mêmes ? Je ne vous suis d'aucun secours, vous ne m'êtes d'aucun secours. J'ai été incrédule envers ceux auxquels vous m'avez autrefois associé » (s14/extr. v/22)
Il faut toujours s'armer de patience face aux épreuves qui nous sont destinées par notre Créateur. Qu'elles soient bonnes ou mauvaises, les épreuves nous conduisent souvent à se remettre en question... Un examen de conscience qui nous permet de diagnostiquer les erreurs commissent dans le passé. Ces mêmes erreurs nous apprennent à corriger nos défauts et faire de nous des êtres meilleurs. Faire ressortir nos défauts pour gommer nos erreurs et plébisciter le bonheur...
Améliorer notre passage sur Terre afin de fouler un jour les marches qui nous conduiront aux portes du paradis. Lors du jugement dernier, chacun tiendra son livret de vie avec le bilan complet de ses actions accomplies. A nous de décider quel poids auront-elles dans la balance !
La journée s'est écoulée lentement...
Après mettre occupé des petites et avoir tout fait briqué, j'ai finis par aller me réfugier là où personne ne peut entrer... Dans mes livres.
J'ai toujours aimé les mots, ma mère m'a transmis cette passion très tôt. Elle aimait lire et elle dévorait chaque ligne de ses auteurs favoris en les inscrivant dans sa mémoire.
Les bouquins n'avaient aucun secret pour elle. Et, pourtant, à son arrivée en France, elle ne savait ni lire, ni écrire... Elle ne parlait pas un traitre mot de français. Elle s'est butée, acharnée et, grâce à sa passion pour le sens des mots, elle a réussit à apprendre à lire seule. Elle maniait les verbes de Molière comme personne...
L'écriture était pour elle une sorte d'exutoire qui lui a permis de faire taire ses douleurs, livrer ses maux. Couché son mal-être sur le papier, c'était comme se confier à une personne de confiance. Je l'ai jamais vu ce plaindre mais elle écrivait souvent. Je n'ai jamais lu dans ses cahiers par respect...
Je savais à peine lire qu'elle m'enseignait l'art et la manière de déchiffrer chaque lettre, chaque syllabe, chaque paragraphe que l'auteur mettait en valeur dans ses textes. Chaque mois, elle m'offrait un livre de Camus, Sartre, Zola, Césaire...
A l'âge de mes douze ans, elle m'a offert mon premier journal : « Fais de lui ton meilleur ami »... Voilà ce qu'elle m'avait dit.
Elle me disait toujours : « Benti (*Ma fille*), retranscris chaque moment de ta vie sur une feuille de papier car parfois la mémoire nous joue des tours. » ou encore « Saches qu'il vaut mieux garder ses peines pour soi plutôt que les partager avec des inconnus. En leur dévoilant ta vie, tu leur vends les armes, qu'ils pourront retourner contre toi à tout moment. »
C'est ainsi que grâce à Yemma, j'ai écrit chaque jour de ma vie, chaque moment, chaque épreuve. Tout est scellé dans mes nombreux journaux... J'agis de la même manière que toi en couchant mes peines comme tu me l'as appris. Ce sont ces nombreux journaux qui me permettent de partager mon histoire avec vous...
« Dieu n'impose à aucune âme une charge supérieure à sa capacité. Elle sera récompensée du bien qu'elle aura fait, punie du mal qu'elle aura fait. Seigneur, ne nous châtie pas s'il nous arrive d'oublier ou de commettre une erreur. Seigneur ! Ne nous charge pas d'un fardeau lourd comme Tu as chargé ceux qui vécurent avant nous. Seigneur ! Ne nous impose pas ce que nous ne pouvons supporter, efface nos fautes, pardonne-nous et fais nous miséricorde. Tu es Notre Maître, accorde-nous donc la victoire sur les peuples infidèles. » (Sourate 2, 286)
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Chronique de Nessma : Ma vie en kilodrames
Romance« On s'enlace tendrement. Nous venions de nous promettre la vie, de signer pour un amour éternel. Aujourd'hui on écrit notre histoire... »