6.2 - Spirit Cold - Ruben

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Et voilà. Dernier carton craqué et jeté. Tout est pratiquement installé comme je le voulais. Les étagères murales sont fixées, les chevalets et les toiles disposés dans un coin. Le bureau que j'ai commandé par une amie de Jules qui est artisane, m'a été livré ce matin. Il est incroyablement beau, typiquement comme je l'imaginais. Grand plateau en bois massif, volontairement mal découpé et ondulant sur la longueur. La finition est impeccable. Et j'adore les pieds industriels noirs qu'elle a ajoutés. Parfaite pièce unique.

J'ai installé une petite table ronde en métal blanc dans la petite cour arrière, avec trois chaises pliables, pour pouvoir profiter des belles journées comme celle-ci.
Quelques derniers éléments de déco et on est bon.

J'éparpille mes toiles un peu partout, puis recouvre celles que je n'ai pas envie de voir pour l'instant. Certaines me renvoient trop à mon passé, à cet instant le plus horrible de ma vie qui m'a fait devenir l'ombre de moi-même. Cela dit, c'est cet accident qui m'a amené à peindre.

Lors d'une habituelle consultation avec ma psy, elle m'a conseillé d'exercer une sorte de loisir, quelque chose qui me ferait lâcher prise, qui me permettrait d'évacuer tous mes tracas, mes peurs, toutes ces choses que je gardais enfouies en moi, sans que je n'arrive à mettre des mots dessus ou en parler à quelqu'un.

Alors un jour je me suis lancé. J'ai toujours aimé dessiner, c'est même ça qui m'a amené à faire des études d'art et qu'après mon master je me suis mis à mon compte en tant que graphiste. Ça a été ma principale source de revenus, j'en vivais bien et c'était encore le cas jusqu'il y a quelque temps... C'est donc naturellement que je me suis tourné vers la peinture. J'ai commencé par acheter une toile, puis deux, puis dix. Dès que je sentais l'envie irrépressible de lâcher mes idées noires, je fonçais sur une toile et me laissais guider par mes gestes.

Même si elles ne signifiaient rien d'un point de vue descriptif, ça me faisait un bien fou de peindre. Je pouvais y rester des heures. Parfois, il m'arrivait même de rester tout un week-end pour en finir. Ça a été un vrai exutoire, et depuis je n'arrive plus à m'en passer. Dès que je sens l'angoisse m'envahir ou mes pensées trop omniprésentes, je les retranscris à coups de pinceaux expressifs.

Ça fait maintenant trois ans que c'est devenu ma thérapie, celle qui m'apaise, qui me laisse m'exprimer comme je le sens et le souhaite, qui me redonne un peu d'énergie quand je me sens au bord du gouffre.

Le soleil tape à l'extérieur et propage toute sa luminosité à travers la baie vitrée.

Je prends un chevalet de la pièce, le place dehors, ainsi que tout mon matériel. Je veille à ce que la peinture ne soit pas exposée plein soleil pour éviter qu'elle sèche, m'assieds sur mon tabouret en métal, puis commence à appliquer quelques coups de peinture à l'huile avec mon couteau. C'est fou comme ça me détend.

— Ruben ?

Je fronce les sourcils, pensant avoir entendu quelqu'un m'appeler, puis me remets à peindre. Sauf que je suis rapidement distrait par des bruits de pas dans la pièce.

J'attrape le torchon à portée de main, passe les pinceaux dans l'eau, puis me lève pour rentrer. Alors que je pose un pied dans la pièce, j'aperçois Louise, accroupie au niveau de mes toiles. Elle a l'air... captivée ou intriguée.

Qu'est-ce qu'elle fait là ? Je ne l'ai pas revue depuis ce jour où j'ai failli encore y passer, ce moment où il m'était impossible de la laisser me quitter, car elle me ramenait à la vie, comme si je m'agrippais à ma bouée de sauvetage. Je ne voulais pas qu'elle me quitte et depuis l'hôpital, je ne cesse de penser à elle. Elle et sa force incroyable. La douceur de ses yeux bleus quand elle me rassurait en passant sa main sur mon visage... Et ce geste, si doux, si poignant, qui me faisait sentir ramené à la vie.

Alors, non, depuis, je n'arrive pas à lui parler, même si j'ai été tenté les rares fois où je l'ai vaguement aperçue certains jours. Et je me sens atroce de ne jamais avoir eu le cran de la remercier de m'avoir sauvé la vie. Mais peut-être que ce moment est arrivé, que je vais pouvoir enfin lui exprimer mon éternelle reconnaissance.

— Louise ?

Elle relève la tête aussitôt et me paraît gênée d'être là.

— Qu'est-ce que tu fais là ?

Elle m'indique qu'elle vient me déposer un carton de la part de mon frère.

J'ignore pourquoi, mais sa présence m'oppresse légèrement. Le peu de fois où je l'ai vue, elle m'a toujours assez intimidé. Elle dégage une présence folle, que c'en est déconcertant.

Je sens que mon silence la met mal à l'aise ; si bien qu'elle préfère fuir. Pourquoi suis-je si gauche avec elle ? J'ai constamment l'impression d'agir maladroitement.

— Louise, attends s'il te plaît.

Lorsqu'elle se tourne et pose ses grands yeux bleus sur moi, je tressaille furtivement.

Allez Ruben, c'est le moment ou jamais !

— Excuse-moi, je suis un peu... sur les nerfs en ce moment, ne pense pas que c'est parce que tu es là.

On s'analyse du regard.

— Je n'ai jamais pu te remercier de... de m'avoir sauvé ce jour-là. J'ai pensé plusieurs fois à le faire, mais je ne savais pas comment m'y prendre avec toi. Alors tout ce que je peux te dire, c'est sincèrement merci. Je te serais redevable à vie.

Elle m'adresse un sourire sincère.

— Je suis ravie d'avoir été là et je suis contente de voir que tu ailles bien.

Ça me réconforte de sentir que la tension s'apaise.

Elle s'apprête de nouveau à partir, mais je n'en ai pas terminé avec mes excuses.

— Louise ? Je m'excuse d'avoir été... un vrai emmerdeur avec toi depuis que je t'ai rencontré. J'ai fait que de la merde. Je suis vraiment désolé si j'ai pourri un peu ta vie. Je n'ai jamais voulu te causer de problèmes ou rendre les choses compliquées.

— Ça va, c'est bon, c'est passé. Ne t'en fais pas.

Histoire de détendre un peu les choses entre nous, je lui demande si ma présence ne lui sera pas trop insurmontable à l'avenir, comme je compte rester dans le coin. Elle me répond que la ville est assez grande pour nous deux, ce qui me fait sourire et me détend. Et visiblement de son côté aussi.

Après cette discussion, elle repart, laissant son doux parfum fruité envahir l'espace.

Pourtant, je ne me sens pas totalement en paix avec moi-même. Cet échange était beaucoup trop furtif et trop lisse en surface. Pas assez profond pour que j'arrive à clairement lui exposer ce que je ressens. Et je ne suis pleinement pas convaincu qu'elle aille bien. J'ignore quoi, mais quelque chose au fond de moi me dit que ce n'est pas le cas... Comme si elle avait enfilé une carapace de bonne façade pour ne pas montrer ce qu'elle ressent.

Cette fille est difficile à percer, pourtant j'aimerais qu'elle soit à l'aise en ma présence ; mais je sens que ce n'est pas le cas. Son visage trahit beaucoup d'émotions diverses, dures à déchiffrer lorsqu'on se retrouve ensemble.

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Wild Grey OceanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant