Partie 1 : Chapitre 8 Cloruth, la ville dans le gouffre

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Comme toujours, tout s'éteignit, le laissant seul dans l'obscurité. La première fois qu'il s'était déconnecté, il avait paniqué, craignant que tout ce qu'il venait de vivre dans Gillarg Stories n'eût été qu'un rêve. Mais la voix rassurante de l'infirmière l'avait apaisé.

— Tout va bien, Tyson ? Comment as-tu trouvé cette première expérience ?

Aussitôt, les larmes avaient coulé des yeux aveugles du jeune homme et son assistante médicale l'avait pris dans ses bras, le berçant comme elle avait l'habitude de le faire.

Cela faisait désormais quinze ans qu'elle était en charge de Tyson Sky, un garçon abandonné par ses parents car né aveugle. Au début, il avait été placé dans un orphelinat où les autres enfants s'étaient souvent moqués de lui à cause de sa cécité. Il était devenu le souffre-douleur de l'institut mais, étonnamment, jusqu'à ses cinq ans, il n'avait jamais bronché. Ce fut d'ailleurs ce comportement qui lui permit d'avoir accès à un hôpital. En effet, un homme voulant adopter avait trouvé admirable son comportement calme et poli. Malheureusement, ne pouvant pas prendre d'enfants à cause de problèmes d'ordre juridique, l'inconnu avait tout de même fait une donation conséquente pour permettre à Tyson de rejoindre un lieu de soins appropriés. Depuis ce jour, l'infirmière Erika Pedersen avait pris en charge ce jeune homme en tant qu'assistante pour l'aider dans son quotidien. Un lien indestructible s'était formé entre eux, proche de celui d'une mère et de son fils.

Alors que ses souvenirs remontaient à la surface de sa mémoire, le jeune homme entendit la porte s'ouvrir et un discret bruit de pas se diriger vers lui.

— Bonsoir, Erika. Suis-je en retard ? demanda-t-il.

— Non, ne t'inquiète pas. J'étais simplement venue t'apporter une bonne nouvelle, enfin, je crois, lui répondit l'infirmière de sa voix cristalline.

— Monsieur Asheim a annoncé sa prochaine visite ?

— On ne peut rien te cacher. Oui, ton bienfaiteur vient te rendre visite demain matin. J'espère que cela n'annule rien à ton planning de jeu.

— Non, heureusement, nous devons nous connecter qu'à partir du début de l'après-midi. Pourrais-je me promener demain avec Monsieur Asheim ?

— Oui, il a fait beau temps aujourd'hui. Allez, va rapidement te laver et endors-toi vite, la journée de demain risque d'être intense pour toi.

Tyson se leva de son lit, permettant à sa « mère » de le contempler. Comme il ne pouvait se rendre compte de son apparence, Erika avait appris à le détailler sous toutes ses coutures afin qu'il se fasse une idée de quel genre d'homme il était devenu.

La dépassant d'au moins deux têtes malgré son mètre soixante-dix, l'infirme possédait un corps bien taillé, à l'exception d'une bedaine rebondie qui lui saillait la ceinture. Il demandait toujours à porter ses cheveux bruns courts, presque rasés, mais il se laissait pousser la barbe. Il avait été compliqué de lui apprendre à se raser et Erika pensait qu'il refusait de retirer ses poils faciaux par peur de se retrouver couvert d'estafilades. Malgré les muscles qui roulaient sous son corps, il avait des mains douces qui se posaient toujours délicatement sur son bras lorsqu'ils allaient faire une balade dans le parc de l'institut. Comme il n'avait pas besoin de soins à proprement parler, il lui arrivait même de l'accompagner dans sa tournée afin de discuter avec les patients de l'hôpital qui le connaissaient tous.

Toute à sa contemplation, elle ne fit pas attention que l'eau venait de se couper. Ce fut le bruit du matelas grinçant qui la ramena à la réalité. Tyson venait de s'asseoir et elle vint lui déposer un baiser sur le front, petit rituel qu'elle réalisait tous les soirs.

— Bonne nuit mon grand.

— Bonne nuit, mamma, répondit-il en se recouchant.

Le lendemain matin, Erika retrouva son patient préféré déjà habillé de ses meilleurs habits. Amusée devant son enthousiasme, elle sortit sa canne blanche et, attrapant son bras, ils se dirigèrent vers l'entrée de l'hôpital. Ils s'assirent sur un banc et attendirent dans un calme silence, seulement rompu par le chant des oiseaux de la campagne de Bergen.

Gillarg Stories (T1) : Une nouvelle guildeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant