Chapitre 3

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     Nous retrouvons la rive Est du lac alors que le soleil est au plus haut dans le ciel. Nous continuons de le longer jusqu'à revenir sur la rive opposée du torrent par lequel nous sommes arrivés. En entendant mon estomac gargouiller, Hunter décide qu'une pause s'impose.  Nous nous installons au bord du lac, en lisière de forêt pour rester relativement à couvert. Laïley bricole deux cannes à pêches avec Clancy, bien décidé à pêcher dans le lac. Les baies sont délicieuses. Clancy nous explique rapidement les rudiments de la pêche.

-Tirez pour remonter dès que ça mord. Appelez moi si c'est une grosse prise. Le fil peut se casser.

Nous passons le reste de l'après midi à grignoter et sommeiller. Après avoir capturé deux splendides carpes, Clancy retire les cannes à pêche pour permettre à Laïley de nager un peu. Elle court retirer ses vêtements derrière un rocher et plonge avant que nous ayons le temps de la voir revenir. Ses cheveux gonflent autour d'elle pour lui dessiner un voile dans l'eau. Elle ne paraît nullement incommodée par l'eau glacée.

Il fait tellement chaud que je finis par retirer mon pantalon et mon débardeur pour me tremper les jambes dans le lac en sous-vêtements. Contrairement à Laïley je n'ai pas beaucoup de pudeur. Le centre ne nous a jamais conforté dans cela. Je sais assez bien nager mais je ne connais pas ces eaux alors je reste accrochée à la rive. Si Laïley se fait engloutir par un monstre aquatique alors je saurais à quoi m'en tenir. Mais quand Hunter se déshabille entièrement et saute depuis un rocher pour faire la bombe, sous le regard appréciateur de Karism, Laïley rougit et part barboter plus loin. Consciente que Clancy n'aimerait pas la savoir seule je me laisse glisser dans l'eau froide et nage vers Laïley. Je n'ai plus pieds en un rien de temps. Rien à voir avec ma baignoire. Je ne résiste pas à la tentation d'éclabousser Hunter en passant devant lui. Laïley est éberluée en me voyant la rattraper.

-Tu nages vraiment bien!

-Arrête. On dirait que tu est née dans l'eau.

Elle me sourit et pouffe. Ok. Visiblement on est devenues copines.

-C'est le cas. ma mère a accouché sur un bateau de pêche. Mo père a été drôlement surpris en la voyant revenir avec une cargaison de thons et un bébé sous le bras.

-Il laissait pêcher sa femme enceinte de neuf mois? m'indignais-je.

-Il n'avait pas le choix. Il faut bien remplir les quotas si on veut recevoir ses tesserae. Au quatre on travaille tous à partir de dix ans. En parallèle de l'école pour ceux qui y restent.

-Toi aussi?

-Un peu. Enfin, je m'occupe surtout de la confection du matériel. Filet et hameçons. C'est Clance qui pêche comme un dieu. Tu devrais le voir sur son voilier.

Et la voilà qui recommence à rougir comme une collégienne. De toute évidence elle en pince pour son partenaire. Pendant je me demande s'il s'agit d'une tactique pour récupérer des sponsors, puis je me rappelle qu'il s'agit de Laïley. Elle n'est pas fourbe. Plutôt du genre à raconter sa vie à une inconnue. Genre, moi. Je masque mon agacement. J'ai horreur que mes adversaires soient sympathiques avec moi. Au centre, une amitié pouvait rapidement dégénérer en duel entre la compétition pour les jeux et l'écrémage annuel. Je n'avais jamais eu d'amie fille. Laïley était affreusement attachante. J'ai besoin de me concentrer pour me rappeler que je n'ai qu'un seul ami dans l'arène. Hunter. Focalise-toi sur ton propre district Leven.

Inconsciente de mon trouble, Laïley avait pris un air nostalgique.

-La mer me manque. Un lac c'est bien, mais tout de même...la mer, la vraie, n'a rien à voir avec ses marées, ses vagues, son parfum salé...

Je manquais de me mordre la langue en m'entendant répondre :

-Les montagnes pourraient me faire penser au deux. Sauf que ce n'est pas du tout pareil. Tout est recouvert d'eau ou de mousse ici. Chez moi la terre est rouge et la sève de cactus a un goût de sirop.

Oui définitivement, j'aurais mieux fait de garder mes distances.


Je suis au beau milieu de mon tour de garde nocturne lorsque j'entends un bruit de respiration précipitée suivit d'un cri étouffé. Laïley se réveille en sursaut et se lève, le teint verdâtre, pour se ruer entre les arbres.

-Toilettes, murmure-t-elle.

Mais je l'entends vomir. Quand elle revient des larmes coulent sur ses joues et elle tremble. Je reconnais les symptômes. Minus les hurlements et les hallucinations.

-Cauchemars?

-Je n'arrive pas à dormir. Je peux prendre ton tour de garde?

-A ta guise.

Je vais pour me rendormir, mais impossible de me sortir l'expression de Laïley de la tête.

-C'est vraiment ridicule, chuchote-t-elle en constatant que je l'observe. Osten n'était même pas gentil. La seule fois où il m'a parlé c'était pour se moquer de moi à l'entraînement parce que je m'étais emmêlé les cheveux dans un anneau de parcours. Je n'arrive pas à me le sortir de la tête.

Moi non plus, songeais-je.

-Tu devrais arrêter de pleurer, lui conseillais-je.

Les sponsors parient rarement sur les pleurnicheuses. Mais la jeune fille hausse les épaules.

-A quoi bon? J'ai toujours été affreuse pour dissimuler mes émotions. Et tout le monde sait que je ne vais pas gagner.

Son honnêteté est presque choquante.

-N'empêche. Tu pourrais essayer de te donner une chance.

Elle ne répond pas. A la place elle embraie sur un autre sujet d'un air rêveur.

-Au quatre quand quelqu'un meurt ses proches envoient un autel en forme de bateau dans la mer. Pour lui souhaiter un bon voyage. J'espère que c'est ce que fera ma famille.

-Au deux on répand des miettes de pain sur le corps. Pour que le défunt ne manque de rien dans l'au-delà. Mais bon plus personne ne le fait ici. C'est une vieille coutume. Heureusement d'ailleurs. Ici il n'y aurait pas de pain pour moi. Des arrêtes de poisson à la limite.

J'avais essayé de la faire rire. Peine perdue. Elle fronce les sourcils, l'air de réfléchir intensément.

-Je ne pense pas que tu vas mourir Leven. Tu es vraiment très forte.

-Merci...

J'étais gênée qu'elle me dise cela alors qu'elle venait juste d'affirmer qu'elle allait mourir. Bizarrement elle avait l'air de le penser sincèrement.

-Toi aussi tu es douée. Tu nous a conduit jusqu'ici. Tu nous a trouvé les baies, tu construit le matériel qu'il nous manque...On est fortes toutes les deux. Pas de la même manière c'est tout.

-J'essaierai de m'en rappeler la prochaine fois qu'il faudra filer quelqu'un. C'est vraiment terrifiant.

-Sacré jeux, baillais-je.

Mon corps s'alourdit comme une pierre. Pierre...carrière...la Noix... A peine deux nuits dans l'arène. Celles-ci se changent en siècles.

Leven Dehlilah : les 85èmes Hunger GamesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant