La couleur que je hais

Chapitre 6

Luna.

Cela fait trois jours qu'Alex est sur les nerfs. Le lendemain matin de notre soirée film, il semblait distrait. Mon frère n'a jamais été du matin mais il n'était pas du style à ne pas parler avec nous. C'était tout le contraire, le matin avait toujours été notre moment préféré. Habituellement, nous nous posions avec un grand bol de café, des viennoiseries et quelques plats salés pour mon frère. Ce matin-là, il se cognait dans tous les meubles et j'avais beau lui parler, c'était comme s'il ne m'entendait pas du tout. Même Lilly n'avait pas réussi à le détendre en lui lançant des perches pour des chamailleries futiles...

J'avais tenté de lui tirer les vers du nez pendant ces trois jours mais j'étais trop préoccupée par la rentrée scolaire qui arrivait lundi. Il ne me restait que quatre jours. Je devais vérifier quelques détails sur mon programme, relire les mails indiquant les classes qui me seront affectées et par la même occasion vérifier les élèves qui devront me supporter une année complète. Mon but était surtout de vérifier le niveau de ces derniers, mais pour être honnête, les appréciations sur leur dossier étaient trop souvent biaisées. Cela pouvait me donner des indices : un élève avec de mauvaises appréciations du style « ne fait aucun effort » trahissait la mauvaise foi de l'enseignant. Celui qui ne faisait aucun effort n'était pas l'élève mais le professeur.

Alors que je me penchais sur la fiche d'un élève, mon frère entra dans le salon où je me tenais avec mon ordinateur portable sur les genoux. Il se dirigea vers le frigo pour sortir une petite bouteille d'eau frèche qu'il but d'une traite avant de se passer les mains sur le visage et jurer en espagnol.

« Un problème ? Demandé-je.

A sa réaction, je compris que mon frère était tellement agité qu'il ne m'avait pas vu posée sur le canapé. Il se tourna vers moi et je pus lire dans ses yeux une émotion qu'il n'avait pas affichée depuis longtemps : de l'inquiétude.

Je pose mon ordinateur portable sur la table basse afin de m'approcher de lui. Le fixant, je tente de comprendre ce qui se passe dans sa tête mais c'est en vain. Nous ne sommes pas des jumeaux et même si parfois, nous nous comprenons sans parler, même si notre lien est indestructible, il nous arrive de faire face à un mur que l'autre à établi. J'étais face à ce genre de mur. Sans prononcer de mot, je regarde mon frère, le suppliant du regard de me parler. Pour seul réponse, je n'ai que son agitation et ses mâchoires qui se resserrent.

_ Parfait, si tu ne veux pas me parler, ne le fais pas. Va te faire foutre ! Vociféré-je.

Mon frère ne m'avait jamais caché quoi que ce soit. Nous ne tenions aucun secret l'un pour l'autre et puis du jour au lendemain, il s'était éloigné comme s'il avait quelque chose à se reprocher. J'en avais marre. Une envie de prendre l'air me pris subitement.

Je pris donc une veste après avoir enfilé mes sandalettes et avant que je ne puisse toucher la porte d'entrée, la voix de mon frère me retint.

_ Je suis désolé. Je suis juste sur les nerfs.

_ Ça je l'ai déjà remarqué. Ce que je veux savoir c'est pourquoi, j'avais levé mes bras en l'air, excédé de son comportement.

Ses yeux évitent de croiser mon regard alors que je me tiens devant la porte, prête à sortir, les bras croisés sur ma poitrine. Je reste de marbre attendant une réponse qui ne viendra peut-être jamais.

_ J'ai vu la moto... avoue finalement mon frère.

Et soudain, mon monde s'écroule. Bien évidemment qu'il allait réagir ainsi, je n'avais pas été la seule impactée. Nous vivions la même perte, la même peur... le même deuil même si lui n'avait pas vécu ce que j'avais subi.