Melody

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— Debout jeune homme ! Dépêchez-vous et ne me faites pas répéter, ou vous finirez au poste.

Qui sait si Naël n'aurait pas préféré suivre ses deux agents de police. Passer la nuit au poste dans une cellule pleine de poivrots, de fêtards bourrés et de types agressifs, lui permettrait au moins d'avoir quelques heures de repos corrects, voire un peu de sommeil. Ne pas obéir aux flics et les laisser l'embarquer donnerait l'occasion au jeune SDF d'avoir une nuit convenable comme il en a connu peu depuis des semaines ; une nuit au sec, avec un accès aux sanitaires. Surtout quelques heures de chaleur. Parce qu'en cette veille de Noël, le froid a envahi la capitale. Comme bien souvent, les Parisiens ne peuvent pas profiter de quelques flocons en ce moment de fête, mais seulement de pluie. Cela n'empêche pas que le mercure soit descendu si bas que le moindre souffle, la moindre parole fend l'air glacé en une volute brumeuse. Et alors que les familles célèbrent le réveillon dans les appartements, qu'adultes et enfants dévorent les repas de fête, que les premiers cadeaux font leurs apparitions aux pieds de sapin savamment décorés, Naël réfléchit à la marche à suivre à présent.

Il pourrait suivre les agents de police. S'il n'en fait rien, il devra se trouver un nouveau spot pour se poser, à l'abri de la pluie. Ce n'est pas la première fois que le jeune homme est face à ce choix, et même si l'idée de céder est tentante, il s'y refuse à chaque fois. En cette période de l'année où les températures baissent un peu plus chaque nuit, où le vent s'imprègne dans chaque parcelle de son corps, il joue avec le feu en squattant les propriétés privées, les bâtiments abandonnés, les vestiaires de stade, ou les parvis de monument. Néanmoins, il prend ses précautions car à ses côtés, couché en boule contre son torse, s'est réfugié un petit être qui représente presque toute la vie de Naël, la raison pour laquelle il évite par tous les moyens une situation comme celle-ci. Crush, le chiot qui est devenu son monde, lui sera retiré s'il était embarqué, le commissariat du coin ne possédant pas de chenil.

À la seconde injonction des agents, Naël réagit enfin. Résigné, le cerveau dans le brouillard, il comprend péniblement la situation. Non sans mal, courbaturé à cause du sol en pierre, les muscles serrés par le froid, il se relève, réveillant le chien aux allures de cocker, lover contre lui. Ce petit chien qu'il a trouvé après seulement quelques jours dans la rue, fouillant les poubelles à la recherche de nourriture. Un être si petit qu'il ne devait pas avoir plus de 3 ou 4 mois. Une boule d'amour, pas farouche pour un sous et qui a fait fondre le cœur de Naël. Crush est devenu son meilleur ami, sa bouillotte pour les nuits fraîches, une présence réconfortante. Il arrive même que le peu d'argent récolté dans la journée soit uniquement pour cette boule de poils au cœur tendre.

Naël se remet debout, prêt à ramasser le peu d'affaires qu'il transporte avec lui, quand il remarque du coin de l'œil Crush réclamer des caresses à l'un des policiers.

— Soit gentil, Crush, ne les embête pas. Je vous prie de m'excuser, messieurs.

— Il n'y a pas de mal, répond l'un en s'agenouillant à hauteur du jeune cocker à la langue pendante.

Son collègue, à la voix grave et au visage austère, enjoint Naël à presser le pas, sans une once de complaisance. Avec un soupir à peine dissimulé, le jeune homme attrape le sac contenant ses rares affaires essentielles et son étui à violon.

— Vous êtes bien jeune, remarque l'agent de police de toute sa hauteur, l'œil curieux.

Son comparse, trop occupé par la canaille à quatre pattes, ne fait même pas attention au ton de son collègue. Papouilles au programme pour Crush, semble-t-il.

— Pour être dans la rue, vous voulez dire.

Naël n'est pas du genre à pleurer sur son sort, ni à se laisser juger par autrui. Il ne lui a pas fallu longtemps pour apprendre que les regards fuyants et les non-dits sont finalement plus agréables que les fausses paroles, se voulant compatissantes ou blâmantes. Et la police ne fait pas défaut à cela. Il est hors de question que son interlocuteur ne soit pas remis à sa place, peu importe qui il est.