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Mardi 16 juin. Lanna a demandé sa matinée à Patrick pour être auprès de Naël, mais surtout auprès de Thylan. Car la dernière fois qu'une personne qu'il aime a dû partir, le chanteur a eu besoin de réconfort.

Sur le quai de la gare Montparnasse, Naël observe une énième fois son billet, le doute planant encore dans son cœur. Mais s'il a pris la décision la plus difficile de sa vie, ce n'est pas pour regretter maintenant que l'heure est venue.

— Bien. Tu as rendez-vous à 16 heures avec Otto. Ton train arrive à la gare de Toulouse Matabiau à 14 heures, alors t'as largement le temps de prendre tes repères et de rejoindre le Conservatoire.

Il y a des failles dans sa voix, et le pragmatisme ne l'aide pas à les combler. Elle aussi aurait espéré une autre voie. Mais Naël est là, son sac à dos plein de vêtements neufs accumulés avec les mois, de souvenirs de la colocation et de jouets pour la boule de poil noire qui l'accompagne. Et il s'apprête à faire un nouveau pas en avant, qui cette fois signifie quitter tout ce à quoi il tient. Il y a des années maintenant, Naël a quitté sa famille pour suivre son rêve, sans une once de regret et avec le sourire. Ce matin c'est tout l'inverse, sauf pour cette petite voix dans sa tête, celle qui lui a fait dire oui.

Ne rate pas l'occasion de ta vie.

Elle ne se représentera peut-être jamais.

Plus tu recules, plus le saut sera difficile.

— Le train va bientôt partir, il faut que je monte.

Une boule dans la gorge, Lanna l'étreint comme elle ne l'a jamais fait, elle qui est pourtant la reine des câlins. Le visage enfouit dans l'épaule d'un Naël un peu trop grand pour elle, Lanna ravale un sanglot. Elle ne doit pas pleurer. Elle doit être forte pour son meilleur ami.

— Lanna, tu vas pas me faire croire que tu vas t'ennuyer de moi ? tente de plaisanter Naël.

— Oui. Non. Vous me manquez l'un comme l'autre quand vous êtes pas là, ajoute–t–elle en s'agenouillant à hauteur du cocker.

— Et moi ? se rembrunit Thylan dans son dos.

— Oh mais toi tu me manques même quand tu es là mon p'tit moineau.

— C'est pas très logique ça, s'amuse Naël.

Pour toute réponse, Lanna hausse les épaules, son visage éclairé par un sourire qui n'appartient qu'à elle. Rien n'est jamais vraiment logique avec Lanna. Elle voit le monde comme personne et transforme ceux qu'elle touche. C'est ce qui fait son charme. Mais Naël comprend ce qu'elle veut dire. Thylan lui manque alors qu'il n'est même pas encore parti. Comment quelqu'un peut–il nous manquer tout à coup ? Hier, c'est à peine s'ils se connaissaient, aujourd'hui, ils sont ensemble, demain.... Comment est-ce possible que quelqu'un entre si profondément en vous, que lorsque le moment de se dire au revoir approche, la présence du vide fait déjà mal ?

De voir Thylan lui brise le cœur. De ne plus le voir lui brise le cœur. Toulouse n'est pas si loin, mais son planning ne lui laissera pas beaucoup l'occasion de remonter sur la capitale, et Thylan doit avancer dans sa musique. Après tout, il a encore une carrière à se créer. Et les relations à distance, ce n'est pas pour eux. Ce fut une longue discussion entre les garçons le weekend précédent. Et de cette conversion est ressorti qu'il valait mieux ne pas s'attendre, avancer, croire au bonheur au-delà d'eux.

— Thy, je...

— Ne nous fait pas regretter je t'en supplie, sanglote Thylan en se jetant dans ses bras. Promets-moi de te battre pour l'enfant qui rêvait de violon. Car s'il y a bien quelque chose que j'ai fini par comprendre au sujet de l'amour, c'est que le vrai, l'inconditionnel, oblige parfois à laisser partir celui pour qui notre cœur bat. Avant, si cela avait signifié te perdre, j'aurais dit non. Maintenant, je me rends compte que je tiens assez à toi pour faire passer ton bonheur avant le mien. Je préfère te perdre aujourd'hui, mais savoir que tu vis ton rêve. Que tu es heureux. Alors file, et promet-moi de vivre ta vie. De vivre ton rêve, pour toi, pour moi.

— Et toi, ne perds pas espoir. Tu seras un grand chanteur, je le sais.

Le dernier appel pour le train en direction de Toulouse a lieu, il est temps pour les garçons de se séparer. Avant que ses pieds ne décident à la place de sa tête, Naël se retourne pour grimper dans le train. Mais au moment où son pied se pose sur la première marche, on lui attrape la main. Thylan le retourne avec une force inattendue et claque ses lèvres sur les siennes. Elles ont le goût du sel, le goût des larmes. Un goût amer. Mais au combien ce baiser fait du bien. Le coup de sifflet retentit. Cette fois, ils n'ont plus le temps. Thylan et Naël se détachent de nouveau, la main du premier s'éternisant sur la joue du second.

— Adieu.

Naël pousse Crush dans le wagon avant que les portes ne se referment, un hochement de cœur l'empêchant presque de faire un pas de plus. La porte métallique se referme dans son dos en un fracas qui résonne jusque dans ses os. Naël s'avance dans le wagon pour trouver sa place, suivit dehors par ses deux meilleurs amis qui agitent leurs mains pour dire au revoir. Qui sait quand ils se reverront ?

Dans le train au départ de Montparnasse qui descend vers Toulouse, un jeune homme pleure. Quelques larmes coulent le long de ses joues, illuminant sa peau tannée. Les passagers à côté de lui se demandent tous ce qui peut rendre ce jeune garçon si triste.

Est-ce qu'il quitte sa famille ? Vrai.

Est-ce qu'il quitte son foyer ? Vrai.

Est-ce qu'il quitte l'amour de sa vie ? Vrai.

En apercevant l'étui à ses pieds, parsemé de stickers et de mots d'amis, le vieil homme en face de lui l'interroge.

— Vous jouez mon garçon ? Violon ou alto ?

— Violon, Monsieur. Pour le moment, je joue en autodidacte.

— Pour le moment ?

— Oui, j'intègre l'Orchestre du Capitole prochainement.

— C'est bien. Vous devez avoir du talent. Vous devez être heureux d'une telle chance.

Son regard dévie du vieil homme vers son étui, puis va se perdre dans l'horizon. Crush sur ses genoux, Naël pense aux mots du vieil homme qui semble si gentil, et pour seule réponse, ce qui lui vient c'est :

— Je devrais.

MelodyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant