Melody

5

— Salut.

Parfait Thy, tu n'aurais pas pu trouver mieux, se flagelle mentalement le chanteur, dépité.

— Salut, répète Naël comme un automate.

C'est si inattendu de le voir de si prêt tout à coup que c'est la seule réponse qui lui vient. Logés sous les yeux bleu clair du chanteur, Naël parvient à discerner deux ombres qu'il n'avait pas aperçu auparavant et même si ces pupilles montrent une fraîcheur revigorante, son visage et ses cernes montrent bien l'épuisement du garçon.

Autour d'eux, les clients ont repris leurs discussions et leurs dîners et alors qu'il est venu pour une raison, Thylan se sent soudain si peu à l'aise qu'il laisse le silence s'installer entre eux. Naël commence à regarder furtivement dans les angles, signe qu'il ne se sent pas plus confortable.

— Est-ce que le divertissement t'a plu ? déclare enfin Thylan, penaud.

— Pardon ?

— La prestation, l'éclaire son interlocuteur. Je t'ai déjà vu écouter plusieurs fois. Si tu reviens, cela veut dire que tu as bien aimé la fois précédente. Est-ce qu'aujourd'hui ça t'a plu ?

— Beaucoup, avoue Naël, ne trouvant pas mieux à son tour.

Un nouveau silence s'installe entre les deux garçons durant lequel Thylan observe ce jeune amateur de musique. Il n'avait pas vu le petit chien à ses pieds, ni l'étui assez grand pour contenir un violon sur son épaule. Par contre, Thylan a constaté le dégradé de marron de son regard, entre le brun clair et le café, rappelant les nuances de sa chevelure en bataille, ainsi que le grain de beauté sur le côté droit du nez du garçon à peine plus jeune que lui.

— Devrais-je m'inquiéter ?

Devant l'air surpris de Naël, Thylan exprime un peu plus le fond de sa pensée.

— Si c'est tout ce que ma représentation t'inspire, sachant que tu es musicien, je devrais peut-être m'inquiéter. Quique, je devrais m'en contenter vu que tu es resté jusqu'au bout.

— Vu les réactions des clients, tu n'as pas besoin de mon avis supplémentaire. Et je ne sais pas si je suis bon juge de toute façon.

— Détrompe-toi ! Chaque avis est important. Essentiel même ! Parce que bien sûr, certains n'aiment pas ma voix ou la façon dont j'interprète mes titres favoris, c'est humain. Tous les goûts et les couleurs sont dans la nature. Par contre, si je comprends pourquoi ils n'aiment pas, je peux faire en sorte de travailler sur ce point, afin qu'un jour peut-être, ils apprécient.

Soudain, l'attitude de Naël vire de la curiosité au mépris. Il ne comprend pas comment le chanteur peut penser ainsi. Comment il peut croire que changer sa manière de chanter, ou sa liste de reprise, lui permettra de se sentir mieux ? Comment peut-on être si à l'aise avec l'idée que l'avis des autres compte plus que s'éclater avec son chant ? Il ne comprend pas. Pourtant, Thylan est sincère.

— Tu ne crois pas que... commence alors Naël dont les questions se bousculent dans sa tête.

— Oui ?

— Rien. Laisse tomber, soupire-t-il ne souhaitant pas mettre le garçon mal à l'aise. Ça fait longtemps que tu chantes ?

Pas la peine de faire la leçon à un inconnu sur sa manière de penser, se dit-il. Ses parents l'avaient bien mieux éduqué que cela. Il pouvait penser ce qu'il voulait, mais pas juger les autres, et encore moins le dire à haute voix. Le respect avant tout.

Si Thylan avait regardé entre les lignes et écouté entre les mots, il aurait compris.

— J'ai toujours chanté dans un certain sens. Mais ces dernières années, je me suis pas mal stoppé à cause des études. J'ai repris ici ça fait deux mois environ.