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La tempête est sur Paris. Températures négatives, vent glacial et neige glissante peinent la vie des sans-abri chaque jour un peu plus. Beaucoup trop meurent dans les rues. C'est la panique auprès des associations qui n'ont ni les moyens ni la place de les accueillir tous, si bien que des priorités sont faites, permettant aux familles avec enfants et aux personnes fragiles de bénéficier d'un lit de fortune dans un gymnase, ou autre lieu public. Malheureusement, avec ses 20 ans, Naël est soit trop jeune soit trop vieux pour en bénéficier. Et puis, en bonne santé, dynamique, vif d'esprit et bienveillant, il préfère laisser sa place à ceux qui en ont le plus besoin. Alors il continue comme il peut.

Plus les jours passent, plus il est difficile de survivre. Naël ne trouve plus la force de rien mais tient bon se rappelant que derrière les nuages, le soleil persiste, qu'il y a toujours une lueur d'espoir pour s'en sortir. En cette période, en plus de son meilleur ami à quatre pattes, sa clarté se prénomme Ingrid. Alors que la tempête est à son paroxysme, elle combat les éléments pour offrir un peu de bonté et de joie aux pauvres des rues parisiennes.

— Tu fais ça depuis longtemps ? avait demandé Naël à leur deuxième rencontre.

— Deux ans.

— Pourquoi ? Tu es jeune, tu devrais utiliser ton temps libre pour sortir, faire la fête, ou au pire profiter d'un petit boulot pour gagner un peu d'argent.

— Pourquoi chercher à fructifier pour soi-même, quand aider les autres vous comble bien davantage ?

Naël déteste les personnes qui répondent à des questions par d'autres questions. Néanmoins, il ne pouvait qu'admettre qu'Ingrid l'avait séché avec sa répartie. À vingt-deux ans, la jeune femme vit sa meilleure vie à épauler autrui. Il a appris la force de son cœur, son besoin d'aider, de se sentir utile. Pour elle, le bénévolat à la Croix-rouge est bien plus qu'un passe-temps, c'est une vocation. Aujourd'hui encore, Naël la remercie pour son abnégation et surtout pour les vivres et couvertures qu'elle a apportés et qui lui permettront de combattre le temps glacial. Elle a même apporté une peluche pour Crush. Mais aujourd'hui, sans s'en rendre compte, elle lui offrait un cadeau encore plus beau.

— Bonjour Naël, dit-elle d'une voix tendre, en posant sa main sur le dos du jeune homme, à moitié ensommeillé.

Naël ne fait que dormir depuis trois jours, il n'a plus la force d'accomplir quoi que ce soit, ses tremblements lui prenant toute son énergie. Seul un léger souffle blanc, visible dans le froid, montre qu'il est encore parmis nous. Couché en boule dans un recoin, au fond d'une ruelle proche de la place Vendôme, Naël fait de son mieux pour se protéger du vent et du froid. Mais cette fois, même Crush n'est plus en capacité de le réchauffer. Au son de la douce voix de sa sauveuse, il ouvre les yeux. Une vision angélique le poussant à écouter, il comprend que rien n'est jamais perdu.

— Au bord de la Seine, on peut voir des ouvertures sur d'anciennes galeries. À l'ouest d'ici, à 150 mètres de la porte 27, tu trouveras une entrée. Un abri. Tu y seras en sécurité.

Pendant une minute ou deux, il croit rêver. Quand il trouve le courage de se lever, réveillant un Crush frigorifié, il tombe sur un paquet à ses pieds contenant un sandwich, une bouteille d'eau, une nouvelle couverture de survie et une note. Signée de la main de la jeune Ingrid, la note fait sourire Naël : "Je suis triste de n'avoir jamais entendu ta musique, mais je sais qu'un jour, elle sonnera à mes oreilles. Tu vas t'en sortir. Ingrid."

Il lui faut tout son courage pour se lever et partir en quête du lieu qu'elle lui a indiqué sur les quais de la Seine. Un pas après l'autre, le jeune homme espère trouver le soleil derrière les nuages, chaque mètre lui demandant un effort Herculéen alors que les bourrasques de vent glaçent sa peau jusqu'à la moelle. Au bout de ce qui semble une éternité, l'entrée se dessine dans la pierre des quais. Presque invisible, Naël n'aurait jamais pu la trouver par inadvertance. Tremblant de tout son être, Crush sur ses talons, il enjambe la marche qui sépare l'extérieur glacé d'un intérieur de fortune. Devant lui, un grand espace vide se dévoile. Le lieu est vétuste mais il ne semble ni souillé, ni squatté. Laissant échapper un soupir de soulagement, Naël s'adosse au mur, enfin à l'abri. Un abri précaire mais efficace et sûr. Ce n'est pas le grand luxe, mais après quelques jours à espérer, la peur au ventre, c'est un immense réconfort.

MelodyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant