Chapitre 7 : Mothika

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(Bon. On va pas se le cacher. Le roman porte son nom donc le personnage est un petit peu important. Un peu.) 


 Sa paume s'écrase sur ma bouche. Me tient la mâchoire, m'empêchant d'utiliser mes crocs, de le mordre. Son autre main garde fermement les miennes derrière mon dos. J'ai l'impression de me retrouver dans une cage d'acier.
J'ai tellement mal partout que j'arrive à peine à penser.
Je dois avoir la gueule en sang. Mon corps hurle de douleur, de faim...
Je ne me suis pas retrouvé dans une situation aussi merdique depuis... Depuis que j'ai ouvert les yeux au monde de la nuit. Fait chier... Fait chier!

Mais je comprends vite pourquoi il nous a caché ici, dans cette impasse miteuse.
Une cavalcade approche. Je reconnais leur odeur.
D'autres vampires.
Probablement alertés par l'incident, prévenus par le rescapé.
Ils passent près de notre position, tournent à l'angle pour accéder au parking et au carnage. Je n'ose pas me débattre. Je ne serais probablement pas mieux loti avec eux qu'avec... Mon assassin.

Bientôt, on entend des cris.
Mes oreilles affutées m'envoient les échos de leurs glapissements d'horreur, de surprise...
Puis des hurlements. Déchirant.
Cris perçants fendant la nuit, arrivant jusqu'à moi. Une telle douleur...
J'ai la poitrine qui se serre en comprenant ce que cela veut dire.

La chef des Crows avait un compagnon. Et bien que ces liens entre vamps me dépassent, je sais qu'il doit ressentir la douleur de cette perte jusqu'en dedans de ses chairs.
Il a dû percevoir sa mort. Maintenant, il subit le vide de son absence... On dit que c'est comme si on vous arrachait le cœur... Et ce n'était même pas son autre...
Je l'entends pousser ces gémissements de bêtes blessés que seuls les nôtres arrivent à émettre. La confrontation à une des peines les plus profondes...
Pauvre gars...

Quand à moi...
Je suis toujours pressé contre mon futur meurtrier. Enferré dans sa poigne. Dans sa saloperie d'odeur de fleurs.
Terrifié. Et pas uniquement par ma fin quasi certaine.
Mais aussi... Par la trahison de mon corps.
Parce que le bougre sait ce qu'il aime. Et j'ai beau me retrouver à moitié désarticulé, à la merci d'un psychopathe... Je sens une intense chaleur me parcourir.
Qui me mortifie tout en éveillant des régions de mes chairs qui ne devraient pas se faire sentir à un moment aussi critique.
Mais qu'est-ce qui me prend? C'est quoi, ça, le délire de la mort probable?
Je suis vraiment perdu pour la science, c'est incroyable...

Sans compter que mon assassin a d'autres idées en tête.
Sans crier gare, il me tire avec lui, s'élève vers les toits. Quoi, il veut encore me balancer depuis les hauteurs? S'il le fait, je vais à coup sûr y passer..
Non. Qu'est-ce qu'il...

Me voilà de nouveau trimballé. Il se déplace vite. Si vite que je vois à peine le paysage défiler. Je sens juste le vent à mes oreilles à chaque nouveau saut, toujours plus loin, loin du centre-ville...

Quand il me lâche enfin, me laissant retomber au sol et tituber aussi loin de lui que possible, je réalise en un coup d'oeil à quel point je suis dans la merde.
Il n'y a rien autour. Rien du tout qui puisse m'aider.
Me voilà au bout d'une jetée de béton, en plein milieu des bateaux cargo du port, non loin de conteneurs rouillés qui puent les produits chimiques et l'usure.
Une endroit parfait pour un assassinat.

Toujours dans sa longue cape, immaculé malgré les gerbes de sang qu'il a versé cette nuit, il s'approche de moi. À pas lents.
Je recule encore. Chaque mouvement fait hurler mes cartilages malmenés.
Hésitant à plonger dans l'eau souillée et sans doute gorgée de cadavres et de poissons morts juste pour lui échapper.

"Arrêtes de faire ça," m'intime sa voix grave, étouffée par son masque. "C'est insupportable."
Il n'avance pas plus, et j'étends mes griffes.
"Arrêtes quoi?" Je crache, en désespoir de cause, cherchant à gagner du temps, et assez furieux, je dois bien admettre. "Non mais oh. C'est toi qui m'a attaqué! Comme tous ces connards de vamps de merde. Franchement, les mecs, vous pouvez pas me foutre la paix deux minutes! Je suis pas dans vos histoires à la con, là!"
J'en ai probablement plus dit que je ne l'aurais dû, mais la douleur parle pour moi, et j'ai pas grand chose à perdre.

Il ignore mes complaintes, s'arrête à deux mètres de ma silhouette frémissante de rage, me toisant de sa haute stature.
"Ton... odeur... Tes phéromones," explique-t-il, d'un ton de noblesse agacé qui me court sur le poil plus encore que la menace de sa présence. "Arrêtes-ça. Ça sent fort. Tu vas rameuter tous les chiens en chaleur du quartier."

Je cligne des yeux. Stupidement. Giflé par ces paroles crues.
Avant de hurler, plus galvanisé encore par l'injure que par la peur. J'ai ma fierté, tout de même.
"Que... Non mais oh! L'assassin là, il veut pas fermer son claque merde!" Je ne réfléchis plus, m'avance vers lui, griffes en avant. "Tu me fracasses, tu me trimballes comme un vieux paquet de linge, et maintenant tu m'insultes? Et tu veux pas qu'en plus je te suces la bites avant que tu me butes? Ça va aller?"

Il a un geste de surprise quasi imperceptible, mais ne se permet guère plus.
"Sans façon," déclare-t-il platement, croisant les bras avec un calme incongru.
Je plisse les yeux. Tous les sens en alerte. Il me bloque la sortie, mais n'a pas l'air belliqueux pour le moment.
"Oooo...kay..." Je tente ce que je peux. "Tu vas me buter?"
Autant jouer l'honnêteté.

"Mmmh... Sincèrement?" Je sens son regard derrière les verres teintés des yeux de son masque. "Je devrais. Te laisser en vie m'attirera des problèmes."
Le courant froid qui me parcourt finit de doucher toutes les velléités que mon corps confus tend vers lui. Tant mieux.
"Je vais me défendre..." Je le préviens. Juste pour la forme.
"Ha."
Un petit mot sardonique. À peine moqueur. Bon sang que j'aimerais écraser mon talon dans sa figure. Que je devine trop proprement taillée comme tous ces connards de vamps imbus de leurs perfections.

"Quoi?" Je croise les bras à mon tour. Provoquant.
Ouaip, au moins une de mes épaules est dessoudée. Et je ne sais même pas ce que cherche. À part me faire buter plus vite.
"Tu ne fais pas le poids," m'envoie-t-il avec nonchalance, me désignant d'un petit geste des doigts dont il a soigneusement rangé les griffes. "Pas avec ces techniques primitives."
"T'inquiètes," je lui dis, passant ma langue sur mes crocs désespérément en mal de sang frais, "Je trouverais bien le moyen de te faire mal. Tu serais pas le premier à me sous-estimer."

"Mmh." Il renifle. Laisse passer un instant. "Tu es certain d'être un vampire? Tu es... Bien étrange."
"Mais je t'emmerde, péquenaud!" Je lui lâche, presque malgré moi. "Quoi, je suis pas assez bien pour vos standards de gros snobinards? C'est les écarteurs, c'est ça? Bah t'as qu'à te foutre tes aprioris au cul, juste pour voir. Ça pourrait te détendre."
"Vulgaire..."
"Mange merde."
J'en peux plus de mes congénères. Vraiment, faut pas se demander pourquoi je préfère les lycans. Même si je me demande bien pourquoi ce type là fait traîner les choses...

"Certes..." Je l'entends soupirer, si légèrement. Je crois que je l'emmerde autant qu'il me brise les rotules. Bien fait. "Néanmoins... Bien que ta petite intervention m'ait privé d'une information capitale..."
"Tskt. Le tueur qui se plaint..."
"... D'une information capitale," répète-t-il, appuyant ses mots avec ennui, "Ce n'est pas de moi dont tu devrais te méfier."

Je ne peux m'empêcher de froncer les sourcils.
Celle-là, c'est la meilleure.
"Tu te fous de moi?"
"Tu es en vie, non?" M'envoie-t-il, nonchalant. Le toupet du mec...
"Donc... C'est une menace?"

Je vois à la façon dont ses mains s'agitent imperceptiblement à quel point il se retient de me coller une mandale. Curieux...
"Une constatation," continue-t-il malgré mes provocations. "Fais-en ce que tu veux, mais je tenais à te prévenir, puisque tu as l'air d'avoir l'art d'être pile au mauvais endroit au mauvais moment. Tiens toi précautionneusement à l'écart de tout vampire ces prochaines nuits."
À mon tour de ricaner. Reprenant vaguement confiance en comprenant qu'il ne semble pas vouloir me buter tout de suite.
"T'inquiète trésor, j'ai pas l'impression de m'approcher de vous plus que d'habitude. Sans offense, je peux pas vous blairer."
Est-ce que je le cherche? Oui. Je déteste les situations d'entre-deux floues, et quitte à en finir, autant que ce soit au plus vite.

"J'ai cru comprendre, oui..." Sa voix grave se fait un brin traînante, presque... amusée? Quelle enflure. "Mais je ne plaisante pas. Des clans vont tomber. Il va y avoir des dégâts..."
"Qui est-ce que tu vas buter encore?"
Ça ne me concerne pas. Bien sûr que ça ne me concerne pas. Les affaires du Tribunal Nocturne ne sont pas les miennes, mais... Bones, lui... Je ne veux pas qu'il se retrouve dans la merde.
Mais mon assassin ne répond pas, se contente de rester les bras croisés, à m'observer.
Je voudrais pouvoir voir son visage. Peut-être que je pourrais y lire... Quelque chose.
Quoi qu'avec la douleur lancinante dans tout mon corps, pas sûr...
Alors, je tente une autre approche. Pour Bones, surtout. Si je m'en sors, il faudra que je le tienne au courant pour lui éviter des ennuis.

"Pourquoi tu me dis ça?"
Il pose lentement sa main sur le pommeau de son épée. Si gracieux pour un tueur...
"Il est dans mon intérêt que tu restes en vie," déclare-t-il, avec un calme que je lui envie. "J'ai des questions pour toi. Et je viendrais les chercher dès que j'aurais fini."
"Alors t'es mignon," je lui lance sans même prendre le temps de penser, "mais j'ai pas l'intention de venir quand tu m'appelles, s'tu veux. Une fois m'as suffit. Et j'ai rien à te dire."
Hors de question que je me retrouve mêlé à ça plus avant. S'il veut me laisser en vie, bonne nouvelle mais...

"Tu n'as pas le choix... Avec cette odeur qui t'entoure, te suivre à la trace ne sera pas difficile, mais en plus..."
Il sort de sa poche un téléphone. Non, pas un téléphone. Mon téléphone. Je reconnaîtrais cette coque avec les petits lapins n'importe où.
Merde! Le salaud a dû me le tirer dans la ruelle!

"Rend moi ça!" Je réclame, furibond, me jetant sur lui.
Il s'est quasiment téléporté trois mètres plus loin, fouillant dans l'objet.
"Voyons voyons..." Murmure-t-il, comme pour lui-même, m'évitant à chaque fois que je me rapproche. "Pas de code de sécurité... Quelle erreur. Et... Oh... réseaux sociaux... C'est inhabituel."
"Pardon de ne pas communiquer avec des corbeaux ni de me déplacer en calèche, ton altesse sérénissime... Rends-le moi!"
J'adore mon téléphone. J'ai toute ma vie dedans... Et il a bien l'air de s'en rendre compte...

"C'est la première fois que je vois un vampire autant s'afficher... Tu as l'air d'aimer les humains..."
"Et qu'est-ce que ça peut te foutre!" Il m'évite encore. Il se fout de moi, l'animal! Et j'ai tellement mal... Bouger est une torture... Je suis si lent...
"Valère..." Je frissonne malgré moi en l'entendant susurrer mon nom.. "Valère... C'est noble... Et bien la seule chose qui sonne vampire dans toute ta personne."
Mais qu'il aille se faire foutre, l'emplumé.
"Pour toi," je crache, à bout, "ce sera juste "oublie moi" et "à jamais." Rends moi ma saloperie de téléphone!"

Il a mon nom. C'est déjà trop. Jamais je n'ai mis de photos de l'endroit où j'habite sur mes réseaux, mais on me voit plusieurs fois en compagnie de Bones et Lula, et... Merde! Merde!!
"Tiens." J'attrape par réflexe l'appareil qu'il me lance en plein visage. "J'ai tout ce qu'il me faut de toute façon."
Et juste comme ça... Il tourne les talons, en un froufrou de cape de snobinard, et commence à partir.

"Attends!" Mais qu'est-ce qui me prend moi? Bon sang, fais pas le con, laisse le se barrer.
Mais il s'arrête. Tourne si légèrement la tête vers moi.
"Oui?"
Dire quelque chose... Dire quelque chose... N'importe quoi...
"Ton nom." Premier truc qui me soit venu à l'esprit dans la brume de mes conneries. "Que je sache qui veuille me cramer la couenne."

J'ai l'impression qu'il ne va jamais me répondre.
Mais...
"Mothika." Sa voix grave découpe chaque syllabe avec une sorte de fierté. Et de... déception? Comme s'il me confiait ça à regret. "Je m'appelle Mothika. Ne cherche pas, ça ne t'apprendra rien. Bonne soirée."
Il s'élève dans les airs, de nouveau, sa cape flottant autour de lui, à la façon de deux grandes ailes puis... Un tourbillon, et il disparaît.

Me laissant seul sur la jetée.
Mon téléphone dans les mains. Un goût amer dans la bouche.
Tremblant comme une feuille d'adrénaline froide et d'incrédulité d'en avoir réchappé.
"Mothika."
Quel nom de péteux...



(Le pauvre chéri a aucune idée de ce qui va lui arriver.) 
(J'imagine que vous, lecteurs avisés, vous vous en doutez...) 
*wink wonk *

MOTHIKA - Âmes-Soeurs Nocturnes (BoyxBoy)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant