Chapitre.39

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Serrant son verre avec une telle intensité qu'il semblait vouloir le briser, Alexeï le poussa en direction du serveur, demandant silencieusement une autre tournée.  Le liquide ambré avait à peine le temps de se calmer dans le verre avant qu'il ne soit avalé. Il le faisait sans réfléchir, cherchant peut-être à noyer quelque chose de plus profond, de plus douloureux.

Il détourna son regard vers une bande d'hommes qui riaient et buvaient sans souci, leurs voix bruyantes et déformées par l'alcool résonnant dans le bar. Leurs rires, auparavant une simple nuisance, devinrent soudain insupportables, un rappel cruel de ce qu’il avait perdu. Un rictus amer tordit ses lèvres tandis qu’il se tournait vers le poste de télévision installé en hauteur, mais même les images en mouvement échouaient à captiver son esprit errant.

Le serveur glissa un autre verre vers lui, mais au moment où Alexeï tendait la main pour le saisir, il fut intercepté par une main rapide.

Sans cérémonie, il prit place à ses côtés, levant le verre comme pour un toast ironique.

-Tutu, je pense que quelqu'un a trop bu ce soir, lança-t-il taquin, en se glissant à ses côtés.

Alexeï se redressa lentement sur son tabouret, son humeur déjà sombre devenant orageuse. Ses yeux noirs, d'ordinaire si perçants, étaient voilés par une fatigue qu'il peinait à dissimuler.

-Que fais-tu ici ? Demanda-t-il, sa voix rauque trahissant son irritation.

-Ça ne se voit pas ? Je viens t'empêcher de commettre une stupide erreur qui n'est plus de ton ressort, répondit-il en s'asseyant à côté de lui, buvant sans hésiter le verre qu'il avait détourné.

-Je n'ai pas besoin d'une nounou, Christopher, grogna Alexeï en se penchant en avant, ses coudes posés lourdement sur le comptoir, sa tête baissée comme s'il portait le poids du monde sur ses épaules.

-Bien évidemment que non. Tu as besoin d'un ami, dit-il calmement en tirant un tabouret près de lui, avant de s'y asseoir avec une aisance naturelle. Et ça tombe bien, j'en suis un des plus fidèles.

Alexeï resta silencieux un moment, ses pensées s'éparpillant dans un chaos qu'il commençait à connaître. Deux mois qu'elle était parti, où plutôt qu'il l'avait laissé partir. Deux mois quil se reteouvait dans ce bar chaque vendredi, sentant le besoin de noyer sa peine, d'une manière qui n'était pourtant pas propre à lui. Ses doigts jouaient distraitement avec le bord de son verre vide, le tournant encore et encore, cherchant dans ce mouvement répétitif un semblant de réconfort.

-Alors dis-moi, reprit Christopher avec douceur, c'est quoi le souci ?

Il y avait tant à dire, mais Alexeï ne savait pas par où commencer. Comment pouvait-il expliquer ce vide qui s’était installé en lui depuis qu'elle était partie ? Comment décrire le silence qui pesait lourdement sur chaque pièce de son manoir, ce même silence qu’il avait autrefois apprécié, mais qui maintenant le hantait ?

Depuis qu'elle avait quitté son bureau ce jour-là, la douleur n'avait cessé de grandir, envahissant chaque recoin de son être. Il se souvenait de la manière dont elle l'avait regardé une dernière fois, ce regard plein de déception et de tristesse, et de la sensation d'avoir quelque chose de précieux qui lui échappait. Il s'était réfugié dans sa chambre, espérant y trouver un peu de répit, mais au lieu de cela, il n'avait fait que ressentir le vide laissé par son départ.

Chaque coin de son manoir lui rappelait sa présence, ou plutôt son absence. Il y avait ce fauteuil près de la fenêtre où elle s'asseyait souvent, dans le hall, lisant un livre ou simplement observant le paysage quand elle savait pas qu'il la regardait. Maintenant, le fauteuil était vide, et la pièce semblait plus froide, plus grande. Même les murs semblaient avoir perdu leur éclat, comme si la maison elle-même ressentait son absence.

Dans L'antre Du RusseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant