ECLIPSE

CHAPITRE 2 - Aurore

Voilà maintenant des heures entières que nous sommes assises autour de cette minuscule table en ferraille sans plus aucun désir d'en repartir, la chaleur du soleil irrigant non corps déjà ensuqués suite à notre précédente course. On aurait pu croire que nous nous racontions notre vie comme deux amies ordinaires, mais loin de là. Non, au contraire. Nous nous isolons progressivement dans nos pensées, chacune laissant son intimité à l'autre, sans même avoir le loisir de discuter entre nous. Il n'y a plus rien à dire, simplement à observer ce qui nous entoure. Je dois dire que les paysages se font de plus en plus merveilleux : à seulement deux mètres de nous, sur la route, passent un nombre incalculable de motards et de motardes qui, sans même prendre le temps de s'arrêter, dévalent la descente comme s'il souhaitait aller encore plus vite que le vent. Encore plus vite que les astres. Encore plus vite que la rotation de la Terre. Je peux ressentir leur bonheur. Il y a encore quelques mois, je n'avais aucune idée de ce qu'était cette sensation. Je n'en avais jamais fait l'expérience. Pourtant, un jour, j'ai fini par grimper sur une de ces machines qui nous portent et nous soutiennent comme des anges, et j'ai enfin pu comprendre ce que c'était d'être vraiment libre. J'ai compris ce que c'était de rester un être humain, tout en s'élevant plus haut.

Tellement plus haut.

Cela dit, tout n'est pas tout rose. Mais c'est ce qui apporte un charme authentique à notre ville. En effet, les ronronnements intempestifs des bolides, dès que l'astre fait son entrée, font râler les vieillards qui malgré leur surdité avérée, en viennent à ne plus supporter cette mélodie des cieux. Moi, j'en raffole. Je ne vis que pour les entendre, ces instruments qui jouent tous à l'unisson, et cette voix presque inaudible que l'on peut seulement entendre dans notre âme lorsque l'on porte un casque et des gants en cuir.

Ça devient une passion, ça devient une vie.

J'ai mis beaucoup de temps à me décider. En réalité, j'ai toujours souhaité un jour, passer mon permis et pouvoir prendre un plaisir immense à rouler sur un deux roues. Je crois simplement que pendant tout ce temps, toutes ces années passées à y réfléchir, je manquais simplement de courage. Et du courage, il en a bien fallu lors de notre première heure de conduite, pour vaincre la peur, l'appréhension, et le simple fait de ne pas toucher les pieds par terre.

C'est dit.

- Dis ! Faut que j'te raconte ! M'interrompt soudain Emy, trop impatiente de me raconter ses ragots.

- Quoi donc ?

Je ne suis même pas sûre d'être en capacité d'écouter ce que mon amie a à me confier. Je crois foncièrement que je suis simplement plongée dans une autre galaxie, aujourd'hui. Loin de tout ce monde, et prisonnière du mien. Enchaînée dans mon esprit torturé, malgré les sourires. Je refuse de me réveiller et continue de dévaler les escaliers de mon subconscient, quand mon amie enchaîne, trop impatiente de me conter quelques anecdotes, tout en claquant des doigts pour me ramener à elle :

- Écoute ! S'exclame cette dernière. Hier soir, j'ai eu un rendez-vous Tinder !

- Non ! Tu blagues, là ?! M'offusqué-je, reprenant instantanément mes esprits.

- Mais j'te jure ! Il s'appelle Dorian !

Cette fois, ça y est. Je ne peux m'empêcher de lever les yeux au ciel et d'en appeler à l'aide aux anges, on les suppliant de bien vouloir m'épargner cette conversation qui ne mènera, encore une fois, à rien. Ce sont toujours les mêmes histoires. Je veux de la nouveauté. Je veux une vie différente de celle à laquelle j'aspirais encore il y a quelques mois. Je veux de la passion. De la liberté. De la singularité. Et de l'authenticité.

- Il était tellement beau !!! Me lance mon amie, des paillettes plein le regard, qui en viendraient presque à m'aveugler.

- Laisse-moi deviner...