Les minutes, puis les heures défilent, et je crois savoir qu'il est bientôt midi, si j'en juge par les milliers de gargouillements de mon estomac qui en viennent même à couvrir les hurlements de mon moteur.
Toutefois, nous ne nous arrêtons pas.
Je continue de suivre Zayn, comme s'il était mon guide vers de plus merveilleuses contrées. Comme s'il se transformait en l'ange Gabriel, pour me mener tout droit au Paradis. Mais est-ce que j'y ai vraiment droit ? Telle est la question, comme le disait le grand Shakespeare. Quoi qu'il en soit, je crois savoir que nous sommes loin de la maison. Je devrais être effrayée, moi qui n'effectue jamais trop de kilomètres avec mon bolide mais, aujourd'hui, je me sens en sécurité. Même si mon cousin est à la fois le feu et la glace. Même si je ne comprends pas vraiment pourquoi il a accepté de m'emmener en promenade. Mon coeur se déchire lorsque je me dis que, finalement, c'est certainement pour faire plaisir à ma grand-mère qu'il a accepté de me voir, cette vieille femme qu'il a l'air d'apprécier plus que de raison.
Si elle l'a élevé, tu m'étonnes.
Ça a toujours été comme ça dans ma vie. Mon entourage a toujours demandé des services aux autres pour me faire plaisir, à moi. Finalement, je crois que toutes les personnes qui ont un jour traversé ma vie l'ont fait par obligation ou par dépit. Est-ce que c'est la même chose pour Zayn ? Est-ce que ça lui pèse d'être avec moi ? Possiblement. Quoi qu'il en soit, je commence à trouver le temps long, à force de me poser mille et une questions qui, finalement, restent toujours sans réponse. À quoi bon s'en poser ? Juste se faire du mal pour rien ?
Quelle vie de merde.
Bien au-delà de mes ressentis contradictoires, il faut dire que cette journée se prête parfaitement à cette balade. Le soleil tape de plus en plus au-dessus de nos têtes. C'était effectivement une journée idéale pour partir en virée aussi loin de la maison sans prendre le risque de rentrer trempés, ou que sais-je encore. Or, malgré la chaleur, si puissante qu'elle en vient même à traverser mon cuir et à me faire transpirer comme un bœuf, la froideur de Zayn est telle qu'il aurait pu me figer sur place, telle une statue de glace, avant que nous ne reprenions la route. L'espace d'un instant, je me concentre sur lui en floutant tout ce qu'il entoure, du bitume jusqu'aux montagnes au loin. C'est étrange. Lorsque je l'observe plus attentivement sur sa monture, je me rends bien compte que ses doigts ne sont plus seulement positionnés sur les poignées du guidon. Non, ils sont crispés, contractés à l'extrême, comme si sa monture était en fait la personnification de sa vie, à laquelle il s'accroche le plus possible pour ne pas tomber. C'est encore pire lorsqu'il se penche pour prendre un virage. Il se penche de plus en plus, raclant presque le sol du genou à certains moments. Et d'ailleurs, un bon nombre de ces virages nous font face : à seulement quelques mètres se dresse une montée en zig-zags, dont nous pouvons même voir la cime, qui déboule sur un nouveau village que je ne reconnais pas. Je me rends alors compte que pour avoir l'impression d'être aussi paumée, il a certainement fallu que j'occulte la route.
Mais sur quoi pouvais-je mieux me concentrer que sur mes trajectoires, je vous le demande !
Il n'y a rien de plus important que la route...
Quelle hypocrisie, vraiment...
Quoi qu'il en soit, nous prenons enfin cette superbe montée, entourée de dizaines d'arbres tous plus majestueux les uns que les autres. Je tombe une vitesse pour pouvoir grimper sans le moindre problème. Le panorama que l'on nous offre sur un plateau d'argent est merveilleux. J'avoue que la vision de Zayn au milieu de tout cela, juste devant moi, crée des étincelles au creux de mes orbes. Les feuilles vertes dansent doucement dans le vent, observant notre course. J'ai presque l'impression d'effectuer une ascension jusqu'au Paradis, aux côtés du jeune homme qui continue d'être bienveillant en se retournant plusieurs fois pour s'assurer que je suis bien derrière lui. D'ailleurs, c'est un miracle que je ne sois pas encore tombée, ou que je n'aie pas encore glissé. Je pensais que ça m'arriverait aujourd'hui.
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ECLIPSE
RomanceAurore est frivole et pleine de vie. En vacances pendant deux semaines, sa vie se résume à ses sorties à moto avec sa meilleure amie, Emy. Elles vivent une vie de rêve, aux côtés de leurs bolides respectifs qui les transportent à travers vents et ma...