CHAPITRE 7 - Aurore

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— Salut, Aurore, répète-t-il d'un ton enchanté, en me voyant figée comme une statue de marbre.

Je n'ose rien répondre. Face à lui, je ne suis plus capable d'effectuer le moindre geste ou même de prononcer le moindre mot. Je reste ainsi plantée devant lui comme une plante verte, à me tordre le cou pour le regarder, lui qui est si grand par rapport à moi, et une des ombres de mon passé tumultueux. J'ai soudain l'impression que les ténèbres m'entourent et menacent de m'emporter de force dans les bas-fonds de l'enfer de mon propre esprit. Si on m'avait dit qu'il serait présent, je ne serais certainement pas venue, histoire de m'épargner une peine de cœur supplémentaire. Comme il attend une réponse, je finis par la lui donner en gardant le plus de distance possible entre nous :

— Tiens... Salut, parviens-je donc à lui lancer, d'une voix tremblotante qui exprime parfaitement les sentiments désagréables qui m'assaillent.

Je prends le temps de l'admirer sous toutes ses coutures. Malgré tout ce temps passé sans avoir eu droit à la moindre de ses nouvelles, je constate qu'il n'a pas changé. Il affiche toujours le même visage radieux qu'à l'époque, illuminé par une peau d'albâtre si pâle qu'elle en vient à refléter les rayons du soleil, et le même corps svelte moulé dans ses vêtements qui le font ressembler, grossièrement, à un vrai avion de chasse. J'en avais oublié à quel point il était charmant. Aujourd'hui, il porte sa tenue de motard, et je m'étonne de ne pas avoir repéré son bolide dans la cour. Quoi qu'il en soit, il porte sa grande combinaison rouge et blanche qui rend ses épaules encore plus larges qu'elles ne le sont réellement. Celle que j'avais achetée avec lui. Je me souviens encore de sa silhouette, qui circulait nonchalamment en caleçon parmi les centaines de tenues en cuir afin de trouver l'heureuse élue. La plupart des clients nous dévisageaient comme si nous étions des dégénérés.

C'était le bon vieux temps...

Et ça avait coûté cher.

Quoi qu'il en soit, je ne pensais pas tomber sur lui aujourd'hui. Je ne pensais pas chuter de nouveau dans un passé si lointain, et surtout, je croyais dur comme fer que mon deuil était fait depuis bien longtemps. Mais lorsque je constate le degré de souffrance qui kidnappe mon cœur en cet instant, je comprends aisément que ce n'était pas le cas. Et puis, d'ailleurs, je crois tomber à la renverse lorsque je perçois tout à coup, au travers de ses yeux, la même lueur tendre qu'il avait à mon égard il y a bien des années. Cette douceur avec laquelle il me regardait, cette voix douce avec laquelle il s'adressait à moi et me rassurait. Parmi toutes ces personnes qui partagent mon sang aujourd'hui, il est de loin celui duquel je me sentais le plus proche. Je lui avais confié ma vie. Il avait mon âme entre les mains, et il a quand même réussi à la broyer du jour au lendemain en appuyant de toutes ses forces pour la faire voler en éclats. Volontairement ou non, cela ne change rien. J'ai souffert le martyr quand il m'a abandonnée. Mais ça, il ne s'en rendra jamais compte. J'ai eu beau lui exprimer mon désespoir pendant des mois, il n'a jamais vu qu'une certaine forme de possessivité ou pire, de jalousie, en moi.

J'ai mal au cœur.

Je croyais réellement être passée à autre chose. Je pensais avoir pu avancer mais, quand je constate à quel point mon pauvre cœur est figé sur place, je comprends. Tout s'éclaire.

— Noah... Marmonné-je enfin dans ma barbe, la gorge serrée comme dans un étau.

Au même moment, je remarque du coin de l'œil que ma mère s'éloigne enfin de nous pour rejoindre ma grand-mère. Ce n'était pas trop tôt. Quant à moi, je continue de fixer l'homme droit dans les yeux, sans jamais l'abandonner. Au-delà de ce que je vois, et surtout de ce que je ressens, tous nos moments passés ensemble se redessinent sous l'écran de mes paupières.

ECLIPSEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant