Nous sommes enfin emportés par le vent d'azur qui se bat pour nous faire décoller. Il est maintenant un peu plus de dix heures et je compte bien faire passer une journée inoubliable à Aurore. Elle le mérite, après tout ce que je lui ai fait endurer et ces absences incongrues que je ne maîtrise pas toujours. Mais je n'avais pas le choix. Un jour, elle comprendra. Un jour, elle se rendra compte de ce que je vis, de la misère dans laquelle je suis enfermé à double tour. Un jour, elle sera tout, et ce jour-là, lorsque nos âmes se croiseront enfin, je n'aurai pas besoin de parler. J'aurai juste besoin de sourire.
Parce qu'elle saura.
Parce qu'elle comprendra que je la protège d'un homme que je n'ai jamais eu envie de devenir et d'un royaume sans fin qui vit en moi et qui n'aurait jamais dû exister.
En la sachant tout près de moi, mon cœur se met à battre la chamade. Décrire ce que je ressens pour cette femme est une peine perdue. Si je devais en faire la description hasardeuse, je dirais que c'est un sentiment nouveau, quelque chose que je n'avais jamais ressenti auparavant et pour personne. Mais c'est également une chose qui me détruit de l'intérieur et qui fait partir mon âme en des milliers de cendres dès que le soleil se lève et qu'il étend ses rayons sur le monde. Quoi qu'il en soit, il est grand temps de déguerpir d'ici pour nous offrir de nouveaux horizons et enfin quitter ce monde. Parce que la bécane, c'est aussi ça : c'est simplement déployer ses ailes et s'envoler. C'est avoir droit à une seconde chance, une deuxième vie plus trépidante en laissant ses chaînes ici-bas.
Accroche-toi, Aurore.
Et envole-toi avec moi.
On dit toujours que le voyage a beau être long, il suffit d'être aux côtés d'une personne que l'on aime tendrement pour trouver la route beaucoup plus belle. Ainsi, à deux sur ma bécane qui saura nous porter là où le vent s'engouffre dans les âmes, la route boisée nous tend les bras. Les pieds encore à plat sur le goudron qui entoure l'entrée de ma demeure, je prends le temps d'observer sur la droite, puis sur la gauche, pour m'assurer qu'aucun obstacle ne nous barrera la route. Il n'y a plus une seconde à perdre, ma machine ronronne de plus en plus férocement pour me faire comprendre qu'elle ne désire qu'une seule chose : prendre la route. Je démarre lentement puisque je sais que derrière moi, je dispose d'une passagère tout à fait exceptionnelle et qui, soit dit en passant, ne semble pas déjà être montée sur une machine comme la mienne, que j'ai payé une blinde et qui est si puissante qu'elle la fera voler encore plus haut que le soleil lui-même. Lorsque je penche légèrement sur la droite pour m'engager sur la chaussée, je sens la jeune femme trembler dans mon dos et se contorsionner, à la fois pour rester dans la même position sur le siège arrière et pour ne pas trop m'approcher. Pourtant, si je ne m'abuse, par simple réflexe ou instinct de survie, elle devrait me serrer plus férocement. Comme je le lui ai montré lorsque j'ai freiné d'un seul coup. Or, je sens de la retenue. Une gêne. Une frustration extrême qui s'exprime par un manque total de contact physique. C'est exactement ça. C'est comme si elle n'osait pas entrer en contact avec moi. Est-ce la peur de sombrer encore une fois qui la retient ? La peur de ne jamais se relever, peut-être ? À moins que ce ne soit l'angoisse liée à la chaleur trop importante que je dégage depuis qu'elle est arrivée dans mon village.
Cela dit, je peux aisément la comprendre.
De mon côté, j'ai toujours eu horreur du contact physique. Et cela va bien au-delà d'une simple gêne. Lorsqu'une personne extérieure pose les mains sur moi, nos peaux ayant beau être séparées par des monticules de tissu, je subis des vagues de courants électriques désagréables dans tout le corps, qui circulent sous ma peau et qui parfois même, remplacent mon hémoglobine dans mes veines et brûlent tous mes vaisseaux sanguins pour laisser l'incendie se propager dans toute mon enveloppe charnelle. Certaines personnes extérieures pourraient penser que c'est agréable, mais ça ne l'est aucunement. À chaque fois que je ressens ça, j'ai envie de me frapper la tête contre un mur si fort que je m'en fendrais le crâne en deux. Oui, à chaque fois que quelqu'un pose les mains sur moi, c'est comme si tout mon être se mettait à bouillonner. Comme si ma peau se mettait à fondre sous les rayons trop cuisants d'un astre trop proche de la planète. Comme si mon cerveau se réduisait en bouillie à force de tisser des liens entre le passé, le présent et l'avenir incertain qui semble me pendre au nez. Ce sont toutes ces impressions en même temps. C'est étouffant. Invivable, même.
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ECLIPSE
RomantikAurore est frivole et pleine de vie, du moins en apparence. En vacances prolongées bien méritées, sa vie se résume à ses sorties à moto avec sa meilleure amie, Emy. Elles vivent une vie de rêve, aux côtés de leurs bolides respectifs qui les transpor...