CHAPITRE 11 - Aurore

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Mes mains se mettent à trembler sur les poignées de ma monture, si fort que l'espace d'un instant, je me demande si le guidon ne va pas se décrocher et me rester dans les doigts. Je ne suis même pas sûr que mes jambes me maintiennent encore longtemps droite. Uniquement en équilibre sur la pointe du pied, je menace de tout lâcher dans l'instant à l'autre. De m'écrouler sur le sol. De m'éclater la tête sur le bitume. De mourir d'une fracture crânienne. Et finalement, je crois que ce ne serait pas si mal. Au moins, mes battements de cœur ralentiraient un peu, et mon sang arrêterait de bouillonner dans mes veines. Au bout de seulement quelques secondes, mon esprit arrêterait sa mascarade et laisserait mon âme en paix. Oui, ça m'offrirait peut-être quelques minutes de calme et de sérénité. Malheureusement, ceci n'est qu'un doux rêve qui ne se réalise pas encore. Mon souffle grandit dans mon casque, envahissant tout mon visage, pris d'une chaleur insupportable. S'ajoute à cela cette sensation inconfortable d'un soleil de plus en plus cuisant qui commence à sérieusement me malmener.

C'est pas humain, tout ça...

Non, c'est pas humain.

— Hey, Bikeuse... M'interpelle Zayn.

— Mmh ? Réponds-je au jeune homme dont le buste est tourné dans ma direction.

Je l'observe plus attentivement, en baissant les yeux en direction de sa monture : il est à califourchon sur elle, la jambe recroquevillée vers le torse pour atteindre le cale-pied. En position grenouille, mais ça lui va si bien. Une main sur la cuisse, il patiente. Encore et encore. À cet instant, mes yeux papillonnent sans que je ne puisse avoir le moindre contrôle sur eux. Il doit sentir que je ne me sens pas à ma place, les hommes sont comme des chiens renifleurs, pour ce genre de choses. L'espace d'un instant, je me demande même s'il n'a pas ressenti mon attirance envers lui. Et si c'est le cas, alors je préfère de loin m'enterrer vivante ou plonger volontairement sous ses roues, que de partir rouler à ses côtés.

— Hey, détends-toi, d'accord ? Insiste ce dernier. Tu n'es pas seule.

Sa voix est éprise d'une chaleur à peine imaginable. Qui plus est, la bienveillance dont il fait preuve n'arrange rien la situation. Dans un sens, j'aurais préféré qu'il soit un vrai connard et qu'il me laisse dans une merde noire. Ainsi, j'aurais peut-être pu le supporter. Par ailleurs, je dois avouer que cette seule phrase me ramène à toutes ces années de solitude, durant toute mon enfance et mon adolescence, alors que j'étais entourée de tellement de monde. En réalité, j'avais simplement besoin de cette phrase-là. Cet unique enchaînement de mots si vrais qui touchent profondément le cœur.

Tu n'es pas seule.

La pression dans mon corps devient insupportable. Presque autant que lorsque j'ai découvert qu'il était Zéphyr. Presque autant que l'écrasement physique que je ressens lorsque je suis face à ma mère. À la différence près que cette pression-là, elle est à la fois difficile à supporter, et absolument délicieuse. Elle débute au creux de mon estomac, puis se diffuse dans mes quatre membres et jusque dans mon esprit. Elle passe par tous les recoins de mon anatomie, et parfois, rejoint même le creux de mon ventre, là où gît silencieusement un désir que je ne souhaite pas égarer et que je tente de contenir par tous les moyens. Je lève la tête en direction du ciel bleu qu'aucun nuage ne parsème, et inspire le plus d'air possible par le nez. Ma poitrine se gonfle, appuyant dangereusement contre le cuir de ma veste, et une fois que je ne peux plus inspirer davantage, je bloque mon nez et recrache tout par la bouche. J'effectue ce geste à plusieurs reprises, jusqu'à ce que mon cœur commence à ralentir ses battements.

— Du calme... M'encourage mon cousin.

Si tu poses une main sur mon épaule, je meurs.

Tu es prévenu.

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