Chapitre 1d

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Ils arrivèrent sur la place principale du village peu de temps après. Une foule animée y avait dressé les grandes tables de Robs, d'ordinaire réservées aux fêtes et grandes occasions, pour s'y attabler et débattre ensemble. Le tumulte régnait, chacun cherchant à faire entendre sa voix au sujet des actions de l'Imperium.

Certains, se croyant héroïques, proposaient des plans extravagants pour empêcher les impériaux d'envahir la Contrée Libre. D'autres, désespérés, criaient que tout était perdu : les Hautes-Forges seraient bientôt conquises, Miewart attaqué, l'ennemi s'enfonçant inexorablement dans la vallée. Au milieu de ce chaos, un ancien soldat, la voix grave, affirma qu'il fallait se préparer au pire. Il exhortait chacun à constituer des réserves d'eau et de nourriture, « en cas de siège », disait-il.

Ces discussions, loin de calmer les esprits, ne faisaient qu'attiser les craintes des plus faibles et de ceux restés en retrait de l'assemblée, pétrifiés de peur, n'osant que se taire et écouter, le cœur lourd.

Les quatre hommes se dirigèrent directement vers le comptoir pour commander leurs repas. Le cuisinier, n'ayant reçu que des pommes de terre pour la soirée, ne pouvait leur offrir qu'un simple gratin. Gabriel grimaça en prenant son assiette.

— C'est un peu léger pour des gars qui ont trimé toute la journée, râla-t-il.

— Ne te plains pas trop, j'ai dû me battre pour obtenir du fromage et quelques lardons en plus, grommela Robs en servant les autres.

Gabriel soupira, le remercia, paya sa part, puis alla s'asseoir à l'une des tables. Lysandre fit de même, le rejoignant sans s'attarder près d'Aïmar et Noël. Ces deux-là préférèrent rester près de Robs, observant la situation sans intervenir. Encore trop jeunes, ils n'osaient pas se mêler aux discussions des plus anciens.

À peine installé, Gabriel fut aussitôt assailli par les villageois, chacun cherchant à connaître l'opinion du maître des Hautes-Forges. Mais ce dernier s'efforça de rester silencieux, plongeant le nez dans son assiette, un geste discret signifiant qu'il souhaitait qu'on le laisse manger en paix.

Robs s'alluma une cigarette et s'adossa à son comptoir, près des garçons. Puisque les quatre hommes étaient les derniers arrivés, son service touchait à sa fin.

— Regardez-moi ce bazar, dit-il en expirant une bouffée de fumée. Chaque fois que l'Imperium progresse, c'est la même hystérie. Et elle finit toujours par atterrir devant chez moi.

— On dirait qu'ils ne se lassent jamais de parler de la guerre, ajouta Noël.

— La peur empêche de dormir, poursuivit Aïmar. Et comme d'habitude, tu remarques que le rédacteur en chef n'essaye pas de calmer le jeu.

Noël parcourut la place du regard, scrutant les visages des villageois. Morgan, en effet, brillait par son absence. Cela ne l'étonnait guère. Redoutant la confrontation avec Gabriel, il s'était éclipsé vers Miewart dès le milieu de l'après-midi. À cette heure-ci, il devait sans doute compter les recettes de la Dépêche du jour, tout en vidant quelques bouteilles en compagnie du commandant impérial qui surveillait la ville côtière. Morgan s'inclinait sans vergogne devant les bottes du haut-roi Karlestan Ier. Tout ce qui l'intéressait, c'était de satisfaire au plus vite ses supérieurs impériaux, envoyés pour surveiller les Hautes-Forges. Et s'il devait pour cela diffuser de la propagande de guerre, il n'hésiterait pas une seconde. Les conséquences tragiques de ses fichus articles ne comptaient pas pour lui.

Noël soupirait en repensant à son ancien patron, Pierrot. Celui-ci avait été un homme bon et bienveillant. Jamais un tel climat n'aurait régné s'il avait encore été là, dans la vallée.

Lumarave I [Fantasy]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant