Chapitre 8 - Joon

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Village des Hautes-Forges,

Contrée Libre

Le silence pesait lourd entre les murs gris et décrépis de la prison, où le temps semblait s'être figé depuis des siècles. Joon, allongé sur sa couche de fortune, scrutait les fissures du plafond de pierre, les yeux à demi clos. L'ennui, palpable et oppressant, glissait sous sa peau, anesthésiant chaque parcelle de son corps. Les secondes s'étiraient douloureusement, chaque minute lui paraissant durer une éternité étouffante. Ses jambes, prises de fourmillements d'impatience, trahissaient l'urgence de son corps à se mouvoir, à fuir cet état de stase forcée. Il avait besoin de mouvement, de marcher, de faire quelque chose, n'importe quoi. Quelque chose d'autre que contempler les murs ternes ou compter les maigres pas qu'il faisait dans sa cellule exiguë.

Cela ne faisait que quelques jours qu'il était ici, mais l'enfermement lui était déjà insoutenable. Pire encore parce qu'il l'avait déjà connu. Cette sensation d'être emprisonné, impuissant, lui était trop familière. Des années à essayer d'échapper à cette fatalité, à reconstruire sa vie loin des chaînes, loin des barreaux... Tout cela pour se retrouver une fois de plus piégé. Comme si le destin se plaisait à le torturer, le ramenant inévitablement au même point, à la même prison.

Il n'avait pas vraiment de raisons de se plaindre ; son amie et lui étaient bien traités. Le vieil homme — Fenril, si Joon avait bien retenu son nom — viendrait bientôt leur apporter leurs repas, aussi prévisible que le lever du soleil. Les villageois étaient d'une politesse presque exagérée, comme s'il ne s'agissait pour eux que d'une formalité, cette bâtisse, un lieu sans véritable hostilité.

Pour leur permettre de tromper l'ennui, Fenril avait pris l'habitude de leur apporter de quoi se distraire. Il avait vite compris que Joon était un grand amateur de lecture. À chaque visite, le vieillard lui tendait un nouveau livre, un roman, parfois un recueil de poèmes, quelque chose pour nourrir son esprit dans cet endroit dénué d'horizon. Le problème, c'était que Joon dévorait les pages avec une sorte de désespoir. C'était sa seule évasion possible, enfermé entre ces quatre murs. Alors, il se plongeait dans chaque histoire avec frénésie, comme un homme affamé se jetant sur un repas. Il finissait toujours ses récits bien avant que Fenril ne revienne avec le prochain ouvrage, laissant en temps son esprit de nouveau prisonnier du vide environnant.

Il se redressa et considéra la petite pile de livres déjà dévorés. Ses doigts glissèrent sur les couvertures poussiéreuses, témoins d'années passées dans un recoin oublié du village. Fenril faisait de son mieux, Joon en était conscient. Pourtant, rien ne parvenait à combler ce vide qui l'angoissait. En seulement trois jours, il avait lu une dizaine de volumes, des ouvrages qui auraient pris des semaines à n'importe quel autre lecteur.

Il prit un des livres, un roman aux pages jaunies par le temps, et le tourna machinalement entre ses mains. Il l'avait terminé la veille, tard dans la nuit. L'histoire d'un homme qui, tout comme lui, se retrouvait piégé dans une existence qu'il n'avait pas choisie. Mais cet homme avait eu l'opportunité de se battre, de fuir. Joon, lui, n'avait pour avenir que les pages de ces récits et les murs épais de sa cellule. L'orphin l'empêchait d'utiliser sa magie pour s'évader.

Tout en reposant le livre au sommet de la pile, Joon poussa un profond soupir, lourd de frustration. Son regard se tourna instinctivement vers Sanaeh, assise en face de lui, recroquevillée dans l'ombre. Elle n'avait pas prononcé un mot depuis leur dernière dispute. Parfois, elle somnolait ; d'autres fois, elle pleurait. À cet instant, elle jouait mécaniquement avec la flamme vacillante d'une bougie posée sur le sol. Ses doigts fins dansaient autour de la lueur, frôlant presque la chaleur sans jamais s'y brûler.

Le visage de Sanaeh, autrefois si expressif, ne trahissait plus aucune émotion. Ses yeux, rivés sur la lumière, semblaient vides, comme si tout ce qu'elle avait ressenti s'était évaporé avec la mort de sa petite sœur. Joon l'observa, le cœur lourd. Il comprenait son silence, mais cela le rendait fou. Sanaeh n'était plus vraiment là. Physiquement présente à quelques mètres de lui, son âme, elle, errait ailleurs, perdue dans les méandres de son chagrin. Chaque jour, elle s'enfonçait un peu plus dans son deuil, et Joon se sentait impuissant à la ramener.

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