Forêt des Hautes-Forges,
Contrée Libre
Le vaisseau s'était écrasé avec une violence inouïe, malgré les nombreux arbres qui avaient tenté d'amortir la chute. La forêt autour du lieu du crash était en proie aux flammes, comme en témoignait l'odeur âcre du bois carbonisé. Des débris jonchaient le sol terreux, éparpillés comme des fragments d'un rêve brisé venu du ciel.
L'atmosphère avait brusquement changé de registre, plongeant dans un calme troublant, seulement interrompu par le crépitement continu du feu.
Joon mit plusieurs minutes à comprendre qu'il était encore en vie. La mort n'était pas encore pour tout de suite, mais combien de temps lui restait-il avant que la prochaine rencontre avec elle ne soit définitive ?
Il finit par ouvrir les yeux, découvrant son corps allongé dans l'herbe fraîche. Une douleur lancinante lui parcourait le dos, et un mal de tête terrible battait comme un tambour fou dans son crâne. Il tenta de bouger ses mains, puis ses pieds, et fut soulagé de constater que ses membres obéissaient encore à sa volonté.
Tout était silencieux, un silence apaisant qui avait tant manqué à sa vie au cours des dernières vingt-quatre heures. L'épuisement, accumulé par une lutte incessante, commençait à l'envahir, le poussant vers un sommeil qu'il trouvait irrésistible. Mais une petite voix intérieure, longtemps étouffée par ses choix passés, s'éleva avec insistance, lui suppliant de résister à cette tentation écrasante. Pour une fois, il décida de l'écouter.
Il bougea lentement la tête pour prendre la mesure des dégâts environnants. Son cœur s'arrêta net en apercevant son amie de toujours, étendue près du vaisseau éventré, son corps coincé parmi les débris. Inconsciente...
« Oh non... Non, pas elle... Pitié... »
Il se redressa difficilement puis, d'une démarche maladroite, parvint à la rejoindre et puisa dans ses dernières forces pour la dégager des débris. Elle était couverte de coupures, mais c'était l'état de son bras qui le préoccupait le plus. Un morceau de chair avait été arraché, laissant apparaître le blanc d'un os. Elle ne respirait presque plus.
— Sanaeh ? Tu m'entends ? demanda-t-il en la secouant doucement.
Il n'y eut aucune réponse, pas même un frémissement. Pris de panique, Joon dégrafa les premiers boutons de sa tunique pour examiner sa cage thoracique.
Là se trouvait une cavité dans son torse, une dépression naturelle depuis la naissance, où reposait une petite boule bleutée, semblable à une pierre. Son éclat était plus faible que d'habitude. Joon déboutonna à son tour sa chemise, révélant une pierre similaire, juste au-dessus de sa poitrine, mais d'un éclat plus intense que celle de Sanaeh. Il posa une main sur la sienne et l'autre sur celle de son amie, puis prit une profonde inspiration.
Après quelques secondes de concentration, il activa les pierres. L'éclat de celle de Sanaeh s'intensifia, et elle se mit à respirer bruyamment, comme une nageuse reprenant son souffle. Il l'avait sauvée juste à temps... Que se serait-il passé s'il était arrivé ne serait-ce qu'une minute plus tard ?
Sanaeh ouvrit les yeux un instant plus tard, se trouvant dans les bras de Joon. Elle le regarda d'un air malade, fatigué et confus à la fois.
— Joon ? parvint-elle enfin à articuler.
— Tout va bien, dit-il en essayant de la rassurer. On... On s'est écrasés. Fais attention, tu es blessée et... ton bras est dans un sale état.
Malgré ses avertissements, elle tenta de bouger son bras avec précaution, mais une douleur insupportable la traversa.
— Je ne le sens plus, murmura-t-elle d'une voix plaintive.
— La plaie est à vif ; il faut la soigner. Pour le reste, notre pouvoir fera son effet d'ici quelques jours.
Elle sembla se rappeler de cela, trouvant un certain réconfort dans ses paroles. Mais son soulagement fut de courte durée lorsqu'elle réalisa l'absence de leurs accompagnateurs.
— Où sont Husha et Ransyl ? demanda-t-elle, l'angoisse perçant dans sa voix.
Bon sang, il avait presque oublié qu'ils n'étaient pas seuls ! Réalisant cela, ils se mirent à appeler leurs compagnons, Sanaeh s'appuyant sur Joon pour se stabiliser. Des bruits résonnèrent à l'intérieur de la carcasse du vaisseau. En suivant ces sons, ils découvrirent les autres dans l'ancienne cabine de contrôle, désormais méconnaissable, enfouis sous une montagne de débris et de poussière.
Ransyl tenait fermement la petite sœur de Sanaeh contre lui. Grâce à son pouvoir, il avait réussi à amortir l'impact pour eux. Aucun des deux ne semblait avoir de blessures physiques graves ; Ransyl était simplement un peu sonné. Husha, les larmes aux yeux, se précipita vers sa sœur. Elle la prit dans ses bras avec le peu de force qu'il lui restait, la berçant tendrement.
— Merde, gémit Ransyl. J'ai vraiment cru qu'on allait y passer cette fois.
Joon aida son ami à se relever, et ils sortirent tous ensemble de la carcasse du vaisseau.
— On ne devrait pas s'attarder ici, reprit Ransyl en observant la fumée de l'incendie. Ils nous ont sûrement repérés. Dépêchons-nous de fuir.
Joon partageait cet avis, mais la douleur que Sanaeh éprouva lorsqu'elle heurta son bras blessé contre la carlingue le fit grimacer. Le temps pressait, certes, mais ils ne pouvaient pas la laisser dans un état pareil.
— Occupons-nous de son bras. Au moins, nettoyons-le et faisons-lui une écharpe, proposa-t-il.
Ransyl acquiesça et ils s'installèrent rapidement dans l'herbe, près du vaisseau. Joon remarqua le bord d'une rivière non loin et s'éloigna de ses compagnons. Il déchira une manche de sa chemise et la plongea dans l'eau, tandis que Ransyl se dépêcha de préparer une écharpe de fortune avec d'autres bouts de tissus.
« La terre ferme... », se dit-il en la contemplant, en sentant sa solidité sous ses chaussures.
Il inspira profondément l'air frais autour de la rivière, encore épargné par la fumée. Combien de fois avait-il rêvé de poser les pieds sur ce monde, là-haut, depuis la cité volante ? Il avait du mal à croire qu'il y était enfin...
L'eau de la rivière, si fraîche et limpide, l'attirait irrésistiblement. Il plongea sa tête entière dans l'onde, buvant à grandes gorgées tout en se rafraîchissant. Sous l'eau, il parvint à oublier, ne serait-ce qu'un instant, l'attaque des impériaux sur la cité, les affrontements acharnés, les morts dont il avait été témoin... et acteur. Ces soldats armés jusqu'aux dents, déferlant sur leur cité... Ces corps inertes jonchant les couloirs...
En apercevant Joon près de l'eau, la petite Husha décida timidement de s'en approcher, avançant à petits pas hésitants. Marcher sur cette herbe lui semblait étrangement difficile. Elle ne se sentait plus aussi légère que dans la cité volante. Là-haut, au-dessus des nuages, on avait l'impression de flotter, alors que maintenant, ses pieds étaient lourds, traînant sans grâce, incertains de la direction à prendre.
Joon releva la tête de l'eau en la voyant approcher. Elle n'était plus très loin, mais semblait figée sur place. Il tendit la main pour l'encourager à venir plus près.
— N'aie crainte, l'eau d'ici ne te fera pas de mal, lui dit-il doucement.
Mais un bruit sourd, familier et terrifiant, résonna dans la forêt. Un coup de feu...
Joon vit alors la scène se dérouler sous ses yeux comme au ralenti, chaque détail gravé dans son esprit avec une clarté insupportable. Le corps de Husha fut frappé par la balle, et elle s'effondra lourdement sur le sol, à quelques mètres de Joon. L'horreur de la scène le laissa paralysé un instant, tandis que le cri déchirant de Sanaeh retentissait derrière lui. Des soldats impériaux, descendus de leur aéronef, se précipitaient vers eux. L'un d'eux, un fusil à la main, avait encore le canon fumant, témoin de l'acte impitoyable qu'il venait de commettre.
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Lumarave I [Fantasy]
FantasyIl y a des millénaires, l'équilibre fut rompu lorsqu'un mortel s'empara de la source magique : Lumarave. Les dieux, dans leur colère, la brisèrent et la disséminèrent au travers de l'Autre Côté, amenant la magie dans le monde des hommes. Un monde m...