Chapitre 1c

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Arrivé devant les mines, Noël emprunta les escaliers métalliques pour descendre jusqu'à la plateforme. Gabriel, assis à son bureau, les yeux rivés sur ses rapports, entendit les pas résonnants et leva la tête. Sa barbe parsemée de blanc était encore couverte de suie, et ses longs cheveux gris étaient en désordre.

— J'ai cru que tu ne viendrais pas ce soir, dit Gabriel en le voyant.

— Le patron a exigé qu'on imprime plus que d'habitude, expliqua Noël en tendant l'exemplaire de la Dépêche qu'il avait pris. Voilà qui devrait égayer ta semaine.

Gabriel haussa un sourcil, saisit le journal et commença sa lecture en silence. Son visage se crispa en découvrant les gros titres. Noël ne réagit pas ; il avait appris à ne pas se laisser perturber par les humeurs de Gabriel.

— Aïmar est déjà parti ? demanda-t-il en scrutant les environs.

— Il bosse sur la locomotive avec Lysandre, répondit Gabriel en désignant les chemins de fer d'un geste de la tête. Cette saloperie refuse encore de fonctionner correctement.

Noël se dirigea donc vers la locomotive, stationnée de l'autre côté de la plateforme. Lysandre y était accoudé, observant l'intérieur de la cabine du conducteur. Il semblait épuisé ; cet homme de vingt-cinq ans paraissait soudainement en avoir dix de plus. Des cernes profonds sous ses yeux témoignaient de la nuit blanche qu'il avait passée à travailler. Sa barbe mal taillée de trois jours accentuait son air abattu.

Voyant son approche, Lysandre tourna la tête vers son ami et le salua d'un sombre hochement de tête accompagné d'un soupir.

— Foutue machine ! Encore une journée de passée sans réussir à la faire démarrer, s'exclama-t-il en jetant son béret à terre d'énervement avant de marcher un peu pour s'aérer l'esprit.

Noël ramassa le béret de Lysandre, le dépoussiéra et le posa en équilibre sur la portière de la cabine. En entrant à l'intérieur, il trouva Aïmar en train de bricoler. Ce dernier interrompit son travail en sentant Noël près de lui. Ses mains, ses bras et une partie de son visage étaient couverts d'un mélange de suie, d'huile et de sueur.

— Quel est le problème, cette fois ? demanda Noël curieux.

— C'est la chaudière. Elle ne produit pas assez de vapeur. On a passé la journée à tout démonter pour tout vérifier. Et vu qu'on ne l'a pas faite chauffée depuis un moment, ça complique l'affaire pour savoir depuis combien de temps elle est capricieuse.

Ce n'était pas la première fois que ce vieil engin montrait des signes de défaillance. En service depuis plus d'un siècle, il avait été spécialement conçu pour gravir la colline des Ateliers en toute sécurité. Bien que ni exceptionnel ni imposant, il possédait une machinerie puissante et robuste, capable de transporter plusieurs wagons chargés de minerai jusqu'au sommet de la colline. La plupart de ses pièces mécaniques étaient uniques, coulées directement aux forges. Malgré l'entretien régulier et méticuleux dont Lysandre s'occupait, les problèmes techniques devenaient de plus en plus fréquents, conséquence directe de la rare utilisation de cette machine.

Aïmar remonta quelques pièces et sortit de la cabine, attrapant un chiffon à peu près propre pour essuyer son visage et ses mains. Le regard perdu devant lui, il soupira profondément. Lorsque Lysandre sembla enfin se calmer, il retourna vers eux et remit son béret.

— D'où ça vient, selon toi ? demanda Lysandre à Aïmar. J'ai une petite idée, mais je préfère ta confirmation avant de vraiment m'énerver.

— Il n'y a pas de problème avec les soupapes cette fois-ci, ce qui est une bonne nouvelle. Et tout le reste semble fonctionner correctement. Il ne reste qu'un endroit à vérifier : la boîte à fumée.

Lysandre se frotta nerveusement les tempes.

— Merde, c'est pas vrai ! jura-t-il, les yeux brillants de frustration. Quand je dis qu'il faut absolument la faire tourner au moins une fois par semaine, même à vide, je ne plaisante pas ! Mon pauvre père, que va-t-il dire en l'apprenant...

Noël avait pu lire un jour que la boîte à fumée d'une locomotive était une zone particulièrement délicate à inspecter, avec un risque élevé de détériorer l'appareil. Lysandre redoutait toujours que les pannes proviennent de là. Cette fois, sa chance légendaire avait tournée.

Gabriel arriva peu après, le journal replié sous le bras. Aïmar lui fit un rapide compte-rendu de la situation.

— Il va falloir cesser de faire des économies de charbon sur cette machine, sinon on sera contraints de revenir aux chariots de transport, comme avant, prévint Lysandre.

Le contremaître demeura silencieux, le regard perdu dans le vague, avant de hocher finalement la tête.

— La journée est finie, allez vous reposer. Vous vous en occuperez demain, et nous chercherons une solution ensemble.

Les quatre hommes rebroussèrent chemin et quittèrent les mines en silence. La journée avait été épuisante, et ils n'avaient qu'une envie : dîner puis se mettre au lit.

Lysandre aperçut le journal replié sous le bras de son contremaître et se tourna vers Noël. Ne goûtant guère à la lecture après le travail, il préférait demander directement les nouvelles.

— L'Imperium a déclaré la guerre au Sandowl par le nord. Presque cinq mille morts en moins d'une journée, uniquement à la frontière. On a reçu un télégramme à midi.

Aïmar laissa échapper un « oh » de surprise.

— Je parie que certains ne fermeront pas l'œil cette nuit, avec leur paranoïa, commenta Lysandre en grimaçant.

— C'est toi qui as écrit ce torchon ? demanda Gabriel en brandissant le journal vers Noël, les sourcils froncés.

Noël secoua la tête. En tant qu'apprenti, il ne s'occupait que des corrections et des tirages. Lorsqu'il en avait le temps, il préparait également les envois de la Dépêche vers les villes voisines. Morgan ne lui confierait jamais la rédaction complète d'un article, aussi insignifiant soit-il. Même si son patron lui accordait l'occasion d'écrire une ligne ou deux, Noël ne rédigerait jamais de textes destinés à effrayer les habitants de la Contrée Libre. L'éducation y était encore rare, et peu d'érudits résidaient sur le territoire. La majorité des habitants comptaient sur la Dépêche pour les informer et les rassurer. Alors, si l'édition du jour visait à semer la peur, elle réussissait à coup sûr.

Gabriel fut soulagé de constater que son protégé était intelligent. Ses traits se détendirent légèrement, mais sa mauvaise humeur demeura.

— Ton patron a vraiment le don malsain de créer la panique pour un rien, reprit-il d'un ton exaspéré. J'imagine à peine dans quel état sont les gars du village en ce moment.

Il y avait fort à parier que la panique dans le village serait pire que lorsque Noël était sorti de la Dépêche. Ce n'était malheureusement pas la première fois qu'un tel événement se produisait. La guerre faisait rage au-delà des frontières de la Contrée Libre, et il était probable que les dernières régions encore indépendantes de Brinadean finissent par tomber sous la juridiction de l'Imperium tôt ou tard.

De telles nouvelles, même si la Contrée Libre était pour l'instant à l'abri, pouvaient rapidement engendrer un climat de peur sans précédent.

Lumarave I [Fantasy]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant