Ateliers des Hautes-Forges,
Contrée Libre
Le trajet de la locomotive, reliant les mines aux ateliers, durait une vingtaine de minutes. L'ascension en colimaçon était la partie la plus délicate et la plus chronophage du parcours. Avant l'installation du chemin de fer, les ouvriers transportaient les trouvailles des mines à l'aide de chariots tirés par des chevaux. De nombreux animaux avaient trouvé une fin tragique, se cassant les pattes ou perdant le contrôle. Plus d'une fois, les plus faibles d'entre eux avaient chuté dans le vide en gravissant cette montée périlleuse, entraînant avec eux le chariot chargé de précieuses cargaisons et l'homme qui le guidait.
Avec le temps, les habitants avaient surnommé cette montée « La route écarlate ».
L'essor économique des Hautes-Forges avait conduit à la construction d'une ligne de chemin de fer, visant à accroître la fréquence des voyages et à effacer définitivement la sombre réputation de cette région. Des wagons confortables avaient même été spécialement conçus pour accueillir les touristes qui affluaient jadis en grand nombre pour découvrir les trésors locaux. Les riches commandes passées avaient rendu ces aménagements possibles.
Cependant, l'épuisement des mines et le déclin progressif de la vallée, causés par l'industrialisation, avaient réduit le nombre de trajets effectués par la locomotive. Conçue pour un fonctionnement continu, elle ne chauffait désormais que lorsque les wagons étaient surchargés, afin de préserver le charbon.
Le père de Lysandre, ancien chef mécanicien de la vallée, avait consacré la majeure partie de sa vie à résoudre les divers problèmes de l'engin avant de prendre sa retraite à Aerilon, une ville située au sud-ouest de la Contrée Libre. Dans la continuité de cette tradition, Lysandre avait repris le flambeau, brillamment. Certains affirmaient même qu'il surpassait son père à son âge. Ce n'était guère surprenant, étant donné qu'il avait été formé par le meilleur durant toute sa jeunesse. Aïmar, voyant les restrictions imposées par Gabriel aux Ateliers, s'était proposé pour l'assister. Depuis lors, ils travaillaient presque toujours ensemble, sauf lorsque Aïmar était réquisitionné aux forges. Ils formaient ainsi un binôme exceptionnel.
Lysandre se mit dos au vent pour allumer une cigarette. Il avait commencé à fumer après la mort de Feon, un événement qui l'avait aussi éloigné de ses amis. Devenu fuyant et secret, il parlait peu et ne plaisantait plus, une facette autrefois indissociable de sa personnalité. Mais il n'était pas nécessaire d'échanger pour comprendre que derrière son visage neutre et son air impassible se cachait un deuil profond, probablement inextinguible. Un deuil doublé d'un lourd sentiment de culpabilité, car, en tant que membre le plus âgé de l'ancien quatuor, il avait toujours pris son rôle de protecteur très au sérieux.
Lysandre sortit un papier de sa poche et, tête baissée, expira la fumée en lisant en silence. Comme à chaque fois qu'ils se retrouvaient seuls, Aïmar cherchait désespérément un sujet de conversation pour renouer un lien, même léger, une étincelle d'amitié. Mais aucun sujet ne lui venait à l'esprit, et sa gorge se nouait inévitablement. Aujourd'hui ne faisait pas exception.
Ainsi, alors que la locomotive avançait paisiblement sur le plat de la vallée, Aïmar préféra observer le paysage plutôt que d'interrompre la lecture de son coéquipier. Il était difficile de croire qu'ils avaient été si inséparables il y a à peine un an de cela.
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Lumarave I [Fantasy]
FantasyIl y a des millénaires, l'équilibre fut rompu lorsqu'un mortel s'empara de la source magique : Lumarave. Les dieux, dans leur colère, la brisèrent et la disséminèrent au travers de l'Autre Côté, amenant la magie dans le monde des hommes. Un monde m...