Chapitre 7b

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Le jeune homme écarquilla les yeux, la gorge serrée par un effroi silencieux. Il tenta de lui rendre le flacon, comme si le simple fait de le tenir entre ses doigts le terrifiait. Fenril l'en empêcha en refermant sa main sur la sienne.

— Écoute-moi, Noël, insista-t-il, plantant son regard dans celui de son petit-fils. Je ne peux pas quitter mon poste sans attirer l'attention de cet officier. C'est toi qui dois t'en charger.

Noël déglutit, le poids de cette responsabilité écrasant ses frêles épaules. Fenril continua :

— Tu vas retourner dans le vaisseau avec ce flacon bien caché dans ta poche. Fais comme si tu étais venu me poser une question quelconque, reste naturel. Une fois dans le vaisseau, tu prendras un chiffon épais et tu verseras un peu de liquide dessus. Ensuite, tu poseras immédiatement le chiffon imbibé sur le sigle et tu retireras ta main aussitôt. Ne le maintiens surtout pas en place pendant que le produit agit. Compris ?

Noël le fixa, incrédule. Qu'est-ce que son grand-père lui demandait ? C'était insensé !

— Ça va sûrement sentir mauvais, c'est normal, reprit Fenril, les sourcils froncés. Tu vas attendre quelques minutes, pour être sûr que personne ne vienne y fourrer son nez, puis tu partiras. Laisse le chiffon sur place.

Noël, toujours abasourdi, serra le flacon dans sa main tremblante.

— Mais... attends, pourquoi tu veux que je fasse ça ? Qu'est-ce que ce foutu sigle veut dire ?

— Fais tout de suite ce que je te dis, Noël. Et reviens vers moi ensuite.

Désemparé, le pauvre Noël rangea le flacon dans la poche de son pantalon. Il tourna les talons et se dirigea vers le vaisseau, jetant des coups d'œil furtifs vers l'officier. Celui-ci le fixait d'un regard noir et méfiant, ne le lâchant pas des yeux jusqu'à ce qu'il pénètre à nouveau dans le vaisseau détruit.

À l'intérieur, Noël suivit scrupuleusement les instructions de son grand-père. Il attrapa discrètement un chiffon usagé, utilisé par les ouvriers pour s'essuyer les mains. L'odeur âcre du liquide lui brûla les narines alors qu'il en versait un bon tiers sur le tissu, prenant soin de ne pas en éclabousser sa peau ou ses vêtements. Avec agilité, il se contorsionna pour atteindre la petite cavité où il glissa le chiffon. Un léger crépitement retentit, suivi de volutes de fumée. Malgré la sueur froide qui lui perlait du front, Noël attendit à l'air libre, observant les travailleurs concentrés sur les morceaux du vaisseau, plongés dans leurs tâches, et s'efforçant à se détendre. Ils ne prêtèrent guère attention à lui, ce qui le soulagea. Il attendit, curieux de connaître le résultat final de cette alchimie plutôt inhabituelle.

Après dix longues minutes, il jugea qu'il était temps de retirer le chiffon. Ce qu'il trouva à sa place l'étonna : le métal avait fondu, laissant derrière lui un trou béant sans trace d'un sigle. Il reposa les restes du chiffon et sortit, le flacon soigneusement caché dans sa poche. Il se pressa alors de retrouver son grand-père.

— Tiens, dit Fenril en versant de l'eau claire dans un verre issu d'un pichet. Rince-toi les mains avec.

Noël s'exécuta, lui tendant le flacon avant de se laver. L'eau fraîche coulait sur ses mains, il s'en passa sur le visage pour éliminer la tension.

— Qu'est-ce que c'était ?

Fenril observa le reste du liquide à la lumière avant de le ranger précautionneusement dans sa veste.

— Tu sais, mon garçon, pour un archiviste, il est essentiel d'avoir toujours un petit gadget pour faire disparaître ce que l'on souhaite, sans laisser de traces. Un jour, tu comprendras pourquoi.

***

Noël profita de la pause de midi pour faire quelques pas le long de la rivière. Le feu avait brûlé une partie de la végétation autour du vaisseau éledarse, mais en s'éloignant, il sentit la différence dans l'air : moins lourd, plus frais.

Il inspira profondément, ses pas le menant inconsciemment vers l'endroit où il avait récupéré la balle en orphin de Husha quelques jours plus tôt. Sa gorge se serra en apercevant le morceau de métal scintillant dans l'herbe au loin. Il se baissa pour le ramasser, mais finalement, il préféra ne pas le toucher.

Les larmes de désespoir de Sanaeh et les cris étouffés de douleur lorsqu'elle avait perdu sa petite sœur lui revinrent en mémoire. Comment aurait-il réagi si Aïmar y était passé lui aussi ? Il ne pouvait s'empêcher d'en vouloir à Joon même s'il essayait de ne pas le montrer à son meilleur ami. Il savait pourtant que l'acte de l'éledarse n'avait pas été volontaire. Mais il s'en était fallu de si peu...

Aïmar s'était rapidement bien entendu avec les éledarses, un don naturel chez son ami pour tisser des liens. Mais ils repartiraient bientôt, et Noël redoutait ce moment. Il connaissait trop bien son ami pour ignorer qu'il ne les laisserait pas affronter un destin incertain. Il s'était déjà trop attaché à eux.

Noël décida de s'éloigner. Bientôt, la rivière fut loin derrière, et la végétation devint plus dense, cette partie de la forêt étant peu explorée. Même les rayons du soleil peinaient à percer les feuillages abondants des arbres. Il s'approchait des Pics Brumeux, bien qu'ils fussent encore bien loin devant lui. Des cris d'animaux résonnèrent autour, et il croisa un écureuil qui l'observait comme s'il n'avait jamais vu d'humains auparavant. Noël lui sourit, sans attendre de réponse. Pour la première fois depuis longtemps, il se sentait bien, respirant à grandes bouffées, faisant le vide dans son esprit.

Cependant, son regard s'arrêta sur d'étranges marques au sol : des traces de roues de chariot et de sabots de chevaux. Le fer était profondément imprimé dans l'herbe, révélant une agitation récente. Qui avait bien pu faire un convoi ici ? Le chemin longeant la rivière était pourtant bien plus praticable. Aucun doute, les hommes passés par là cherchaient à couvrir leur passage. Non loin, d'autres traces apparaissaient, similaires mais plus anciennes cette fois, à en juger par l'herbe écrasée qui commençait à reprendre forme.

Noël ne s'y attarda pas davantage mais garda ces observations dans uncoin de sa tête. Il s'était déjà trop absenté et devait rebrousser chemin. Ilparlerait de tout ce qui s'était passé à Aïmar. Peut-être était-il au courantde quelque chose, lui.

Lumarave I [Fantasy]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant