Chapitre 5 - Noël

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Village des Hautes-Forges,

Contrée Libre

Sous les ordres de l'officier impérial, les étrangers furent immédiatement enchaînés avec de l'orphin pour neutraliser leurs pouvoirs le temps de trouver un accord avec Gabriel. Les soldats impériaux avaient tout prévu. À bord de leur dirigeable, un stock de fers faits de cette précieuse matière attendait, prêt à être passé aux poignets et aux chevilles des prisonniers célestes — car c'était bien des cieux qu'ils étaient venus. Les pouvoirs de Joon, de Ransyl et de Sanaeh furent ainsi neutralisés sans la moindre difficulté.

Cependant, les villageois, méfiants, avaient eux aussi pris des précautions. Ne voulant ni accorder un traitement de faveur aux soldats impériaux ni risquer qu'ils s'en prennent aux étrangers dans leur dos, ils décidèrent de les enchaîner à leur tour, à l'exception de l'officier.

Tous furent enfermés séparément au Bastion, la vieille prison de la vallée des Hautes-Forges. Les soldats impériaux furent placés au rez-de-chaussée, tandis que Joon et Sanaeh furent relégués au sous-sol. Seul l'officier impérial resta libre, Gabriel ne voulant pas risquer de s'attirer des ennuis en enchaînant un homme de son rang. L'homme fut alors conduit à la Dépêche pour être présenté à Morgan.

Ransyl, quant à lui, reçut une autorisation temporaire pour accompagner la petite Husha à l'infirmerie, où il put surveiller son état de santé tout en restant enchaîné. Aïmar fut également emmené directement auprès de Lauria.

Terrifié à l'idée de perdre son meilleur ami, Noël avait veillé sur lui jour et nuit, négligeant son propre travail et faisant fi des sévères réprimandes de son patron pour ses absences et ses tâches en retard. Il était resté au chevet d'Aïmar, guettant avec angoisse la fin de l'hémorragie et la stabilisation de son état. Lysandre l'avait également veillé pendant quelques heures. Aïmar demeurait inconscient, mais il était désormais hors de danger et en voie de guérison.

Ce ne fut malheureusement pas le cas pour la petite fille tombée du ciel...

Malgré des heures d'efforts acharnés, Ransyl comprit que tout était perdu. La balle d'orphin s'était désagrégée à l'impact, laissant derrière elle des fragments aussi fins que des particules de poussière incrustés dans ses chairs. Ces infimes résidus suffirent à détruire l'immunité de cette enfant au don magique exceptionnel. Les particules avaient circulé dans son corps, atteignant la source de sa puissance, la lueur scintillante nichée dans sa poitrine. L'orphin, une fois introduit, ne pouvait plus en être extrait, la condamnant irrémédiablement...

Ransyl avait expliqué que les membres de son espèce apprenaient, au fil de leur vie, à contrôler les flux d'énergie dans leur organisme afin de les bloquer en cas de contact avec ce métal maudit. Ce blocage empêchait le venin mortel de se propager jusqu'à leur pierre de pouvoir, donnant ainsi à l'individu touché le temps d'extraire ce poison. Mais une enfant aussi jeune que Husha était incapable d'une telle maîtrise. Elle n'avait donc pas pu éviter cette bombe à retardement.

— C'est fini. Il n'y a plus rien à faire, à présent, avait fini par dire Ransyl, la voix lourde de gravité.

En silence, il avait embrassé la petite main de Husha avant de la reposer doucement sur le lit. Traversant la salle des soins, il s'était ensuite effondré sur une vieille chaise en bois, le visage blême, enfoui dans ses mains encore couvertes du sang de l'enfant. Des larmes étaient tombées, éclatant en perles silencieuses sur le sol.

La petite fille allait mourir, et la seule chose qu'ils pouvaient encore faire était de l'accompagner dans ses derniers instants...

***

Au Bastion, les étrangers passèrent un long moment à converser dans leur langue. Fenril finit par en reconnaître l'origine. « Ce sont des éledarses... », murmura-t-il à l'oreille de son petit-fils.

Sanaeh éclata en sanglots, serrant Husha dans ses bras alors qu'elle s'agenouillait dans sa cellule. Elle la berça tendrement, enfouissant son visage dans les cheveux de l'enfant, lui chantonnant une berceuse mélodieuse, presque imperceptible.

Impuissant, Noël resta en retrait, les yeux rivés sur cette scène d'adieux déchirante qui lui glaçait étrangement le dos. Il finit par détourner le regard, ses pensées commençant à flotter dans le vague. Autour de lui, les murs se brouillaient tandis qu'il fixait délibérément le vide de la prison.

À un moment, il crut apercevoir la silhouette d'une femme aux cheveux si blond clair qu'ils semblaient presque blancs. À l'autre bout du couloir sombre, l'apparition étrange l'observa sans bouger. Le cœur battant à tout rompre, Noël secoua vivement la tête pour reprendre ses esprits. Lorsqu'il rouvrit les yeux, la vision s'était dissipée. Il n'avait pas dormi depuis près de quarante-huit heures ; la fatigue commençait vraiment à perturber son esprit.

Au milieu de la nuit, Husha se réveilla. En silence, elle observa sa sœur, qui se mit à lui parler à voix basse, toujours dans cette langue étrange que personne d'autre ne comprenait. La petite souffrait, des larmes incontrôlées roulaient le long de ses joues pâles. Sa poitrine se soulevait difficilement, et la lueur de sa pierre faiblissait de plus en plus. Pourtant, elle restait silencieuse.

À l'aube, Husha referma les yeux. L'air quitta ses poumons et n'y revint plus. Les tremblements de son petit corps fragile s'atténuèrent, puis cessèrent. La petite pierre bleutée nichée dans sa poitrine s'éteignit définitivement. Les trois survivants prononcèrent en chœur quelques mots, une prière douloureuse pour cette enfant si jeune, arrachée à la vie et mourant loin de chez elle. Une autre victime de cette guerre interminable...

Et soudain, dans la pénombre de cette prison de pierre froide et sans couleur, le corps sans vie de la petite fille se consuma de lui-même. Noël écarquilla les yeux, incrédule. Il ne rêvait pas... Le corps s'embrasait lentement, disparaissant entièrement, ne laissant derrière lui qu'une fine poussière bleutée qui virevoltait dans l'air. Bientôt, il ne resta plus que les vêtements vides de la petite fille, seul témoignage de son existence éphémère sur cette terre cruelle...

***

— Est-ce que tu veux qu'on parle un peu, tous les deux ? demanda Fenril une fois la porte de la maison refermée. Je te prépare un thé bien chaud ? Quelque chose ?


Noël ne répondit pas. Il retira ses chaussures et monta directement à l'étage pour rejoindre sa chambre, fermant la porte à clé derrière lui, un geste qu'il faisait rarement. Il n'avait pas mangé depuis la veille, mais il n'avait de toute façon pas faim.Tremblant, il se déshabilla en silence, éteignit la lumière, puis se glissa dans son lit. La tête enfouie sous les couvertures, il pleura.

Lumarave I [Fantasy]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant