Présent et souvenirs 15

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« - Laelynne...

- Noah.

- Rentre, c'est tout ce que tu as comme affaire ?

- Oui, je dois partir plus tôt que prévu, j'ai un train de nuit à prendre, mon départ a été avancé.

- Ah... Rentre, ils t'attendent. »

C'était un mensonge. J'avais peur de rester plus longtemps, de ne plus avoir la force de partir, de le laisser s'en aller. Être ici était déjà insupportable. Chaque mur, chaque espace, chaque regard que je croisais faisaient renaître en moi tout ce que j'avais toujours ressenti.

Sa grand-mère, sa mère, et ses amis d'enfance étaient présents à la maison. Elle était remplie de cartons pour les préparatifs. Je me souviens du regard de sa grand-mère, un regard tendre et plein de sagesse, mais teinté d'une tristesse discrète. Elle me souriait faiblement, un sourire qui n'était pas dû à son âge. Elle savait. Elle avait toujours su. Sa mère aussi. J'avais du mal à garder la tête haute, je me sentais nauséeuse.

« - Oh là là, ça ne me rajeunit pas de te voir devenue une femme, ma jolie.

- Vous êtes toujours aussi jeune et ravissante, Josiane. »

Sa grand-mère m'avait prise dans ses bras frêles. Le temps l'avait rattrapée, elle était marquée par l'âge et le départ de son mari. Pourtant, elle dégageait une telle fraîcheur, une telle lumière, qu'elle réchauffa mon cœur sans même s'en rendre compte.

Ses amis, que j'avais connus et avec qui nous passions nos étés, avaient eux aussi beaucoup changé. Des enfants couraient dans le salon, et des souvenirs se bousculaient entre les murs.

« - Noah, la pauvre Laelynne vient d'arriver, lâche ce carton et allez faire un tour tous les deux ! » cria Josiane.

Il semblait aussi mal à l'aise que moi. Nous avons marché en silence dans les rues, sans prononcer un mot. Ce n'étaient pas des silences lourds, mais plutôt remplis de tout ce que nous ne dirions jamais à voix haute. Nous désignions du doigt des souvenirs ici et là.

Nous avons fini sur la plage, les pieds s'enfonçant dans le sable. Le temps avait passé rapidement, et le soleil commençait à se coucher, sa lumière dorée caressant ses cheveux légèrement bouclés. Il s'est tourné vers moi, et pour éviter qu'il ne remarque mes yeux humides, je me suis précipitée vers l'eau, toute habillée.

« - Lae ! Lae, qu'est-ce que tu fais ?! »

Il s'est mis à courir à son tour. Je nageais sans me retourner, comme si je croyais pouvoir atteindre une terre lointaine où il n'existerait pas.

« - LAE ! »

Je ne voulais pas qu'il sache, qu'il devine, qu'il ressente ce que j'éprouvais encore pour lui. Je refusais de craquer, de céder à ce qui se passait entre nous. Mais il m'a rattrapée et m'a enlacée. Il m'a serrée si fort que je me sentais engloutie par la chaleur de son étreinte. Je ne savais pas si c'étaient la pluie, la mer ou les larmes qui mouillaient nos épaules. Mais à cet instant, je savais que je n'étais pas la seule à ressentir ce mélange de nostalgie et de tristesse.

Nous savions tous les deux que c'était la dernière fois, notre dernière chance. J'avais supplié le ciel de m'envoyer un signe, un dernier signe, de me donner le courage de faire quelque chose, de ne plus jamais quitter ses bras. J'aurais aimé chérir encore plus ce moment, mais une honte profonde m'envahissait. Ressentir cela, agir ainsi, alors qu'il s'apprêtait à faire la promesse d'une vie... une vie où je n'avais plus ma place.

Notre histoire n'était sans doute pas assez puissante. Je ne devais pas gâcher la sienne. Je devais rester forte, au moins pour lui offrir ça : notre liberté.

« - On devrait y aller.

- ...D'accord. »

Nous avons repris le chemin du retour, trempés et encore plus sous l'averse. Nos corps tremblaient.

« - Ce serait bête de finir malades. T'as pris de quoi te changer ?

- Non.

- Il doit bien y avoir quelque chose qui traîne dans la maison. En fait, Lae...

- Je suis heureuse pour toi. Tout à l'heure, c'était... immature de ma part. La nostalgie et la fatigue, sans doute.

- Lae...

- Je suis sincèrement heureuse pour toi. J'espère pouvoir voir la petite un de ces jours. Elle doit être ravie d'avoir retrouvé sa place dans ta famille.

- Vous ferez de bonnes copines, dit-il en riant.

- Sûrement, oui. Si j'ai un enfant, j'espère qu'ils seront aussi amis que nous l'étions.

- Je n'en doute pas. Laelynne ?

- Mmh ?

- Je suis désolé, pour tout ce que j'ai pu te faire. Je regrette tellement de choses.

- C'est bon, Noah, ne t'inquiète pas.

- Non. Vraiment, je suis désolé. Parfois, je me dis que... Enfin... J'espère que l'univers mettra quelqu'un sur ton chemin qui sera à ta hauteur. Qui te fera toucher les étoiles. Ne doute jamais de toi, Laelynne. C'est un cadeau d'avoir pu te rencontrer. Et j'espère que tu resteras dans ma vie. Que tu me pardonnes. C'était moi qui n'étais pas à la hauteur. T'es si... j'avais peur, ouais, peur. Je me demande si je mérite tout ça. Et j'ai encore peur. Et je suis égoïste de te demander de rester, de te demander tout ça. Mais je voulais vraiment te voir. C'est important pour moi que tu sois là, ici... Merci pour tout. Je te remercierai toute ma vie de m'avoir sauvé, depuis le tout premier moment. »

Je ne lui ai pas répondu. Les larmes coulaient au rythme de la pluie. J'aurais voulu lui dire que c'était lui qui m'avait sauvée. Que c'était lui, le cadeau que l'univers m'avait envoyé, avec tout le bon et le mauvais.

AnamnèseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant