Chapitre 13

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Nous sommes aujourd'hui samedi, et je me tiens devant mon placard, où j'avais rangé mes anciennes affaires de concours. J'ai peur. Je stresse. Il faut que je m'occupe de Nino, et que j'aide Julien avec Hello. Il a également décidé de m'engager avec Lara dans la Pro 3. Je tiens mon tapis blanc à bordure bleue, blanc et rouge dans les mains quand Chris arriva derrière moi.

Ça faisait maintenant une semaine qu'il vit chez moi, parce que je refuse de le laisser rentrer chez lui. Au début, j'avais surtout peur qu'il ne fasse une connerie. Mais maintenant, je me rends compte que c'est surtout qu'il me manquerait s'il retournait vivre chez lui. Et je crois qu'il l'a bien compris.

Bref, je retourne ce tapis dans tous les sens, encore blanc malgré le temps passé dans ce placard, et la remarque de Chris me sort de mes pensées.

"Ça va faire bizarre de le voir sur un cheval. Surtout à toi. Tu ressors tout l'équipement que tu mettais à Air Force ?

- Ouais, je pense. C'était une grande ponette, je lui mettais de l'équipement cheval alors pourquoi pas, je suis sûre que tout son équipement ira à Nino."

Air Force One. Ma ponette de Grand Prix, qui m'a emmené en As Poney Élite. J'ai couru avec les meilleurs cavaliers mineurs. J'ai concouru lors de nombreux CSIP* avec elle. C'était ma ponette.

A mes 18 ans, j'ai arrêté de la monter. Je n'avais plus le droit de la sortir en épreuve poneys, mais on aurait pu réussir à la faire passer sur des épreuves chevaux. Mais non, j'ai arrêté, tout arrêté. Chris avec son poney de Grand Prix, Atlas de Civry, a aussi tout plaqué à l'époque. On tournait ensemble sur les épreuves, et on a arrêté ensemble. On a sombré ensemble également.

Nous avons tous les deux redoublé notre terminale, puis nous avons tenté un BTS, sans vraiment aboutir à quelque chose. On fumait, on buvait, on se droguait. Et puis Julien nous a aidé à nous sortir de cette merde.

Ressortir les affaires d'Air Force me fait du mal, mais je repense à tous ces bons moments passés avec cette ponette. L'année dernière, ses propriétaires m'ont appelé, en m'annonçant qu'elle était morte, qu'une colique l'avait emmenée. J'ai pleuré, parce que cette ponette m'a tout offert.

Elle était assez costaud, ce qui fait que je lui mettais des affaires taille cheval, mais elle était exceptionnelle. Ce tapis, je l'ai gagné en remportant les Championnats de France à Lamotte-Beuvron avec elle, en As Poney Élite Excellence, avant d'être sélectionnée pour l'équipe de France pour les Championnats d'Europe.

Dans un élan de reconnaissance envers cette ponette, je me décide à lui rendre une sorte d'hommage en reprenant ses affaires, pour Nino. Je ressors donc mon chariot, que j'avais réussi à caser, vide, dans mon placard. J'y place mon tapis blanc. Je retrouve également ma paire de guêtres en cuir. Elles sont poussiéreuses. Je ressors ses anciennes protections de transport, son ancien licol en cuir, poussiéreux et moisi, ainsi que son ancien filet, avec son mors Pelham, comme celui qu'il me faut pour Nino.

J'entrepose tout ça sur mon chariot, et sort ce qui me fait le plus de mal, ma selle. J'enlève le couvre-selle et admire cette selle "made in France", sur mesure, et maintenant poussiéreuse. Je pries pour qu'elle aille à Nino. Je ressors également mes bottes, poussiéreuses elles aussi, ma vieille cravache. Je pose aussi sur le chariot tout ce qu'il me faut pour nettoyer tout ça.

Julien me regarde avec de grands yeux, quand il me voit arriver avec tout ça dans les écuries, faisant un bruit monstre, mais un sourire sincère s'affiche sur son visage lorsqu'il reconnait les affaires. Il regarde Chris, qui se trouve derrière moi quand je laisse le chariot à côté du box de Nino, qui vient d'ailleurs voir ce qui fait tout ce bordel.

"Alors ça y est, t'as enfin décidé de sortir ces magnifiques affaires de la poussière de ton placard.

- Continuez à vous foutre de moi, en attendant, je vais avoir besoin d'aide pour tout nettoyer, et Julien, tu ferais mieux de ramener tes affaires pour les nettoyer, au passage. Je ne suis plus totalement ta groom, mais je suis toujours là pour t'aider, donc, au boulot !

- Oui chef, bien chef !"

Je passe toutes mes cuirs au savon glycériné, avant de tout graisser. Je nettoie l'ancien mors d'Air Force et toutes les boucles, ainsi que les étriers, à l'eau et à la brosse à dent. Tout doit être parfait. Julien a du mal à me suivre, je suis rapide, j'ai mon rythme. Je fais également les affaires que je mettrais demain sur Lara. J'ai le temps de tout finir, qu'il reste encore des affaires à Hello à faire. Je l'aide donc pour finir avant de sortir Nino de son box. Je l'ai monté ce matin sur le plat, on a pas travaillé grand chose, pareil pour Julien et Hello. On a juste retravaillé toutes les choses essentielles sur un terrain, et c'est tout.

Je fais un pansage complet à mon étalon bai, je lui démêle tous les crins. Je coupe sa queue au ciseau à mi-canon, et lui fais une vulgaire natte, pas serrée du tout, afin que ses crins restent démêlés.

Je "coupe" et "désépaissit" sa crinière au peigne, je coupe son passage de têtière, coupe également les trois poils qui dépassent de ses oreilles. A mon grand étonnement, Nino est particulièrement calme. En même temps, c'est vrai qu'avec un filet à foin devant le nez, il n'a pas beaucoup d'excuse pour bouger. Je lui fais des nattes dans la crinière pour faire les pions demain matin. Je lui cure les pieds avant de lui graisser à la graisse noir. Nino est prêt, impeccable. Je l'ai rarement vu aussi beau, aussi propre.

On prépare tout de la même manière pour Hello et Lara, avant d'aller charger toutes nos affaires dans la camion, sans oublier les filets à foin, et toutes les affaires sont bientôt embarqués.

Faire quelque chose m'a aidé à m'occuper l'esprit. Je ne pense pas à demain, je ne stresse pas. On ne va pas sur un très grand terrain, mais c'est suffisant pour me faire stresser, sachant que tout le monde me regardera, parce que c'est Nino, et que tout le monde veut voir qui va arriver à contrôler le Nino du Has, ce cheval qui a autant de potentiel que de caractère. Alors oui, j'ai peur. Peur du regard des autres.

Après m'être assurée au moins trois fois que tout était prêt pour le lendemain, Chris réussit à me convaincre de rentrer chez moi. Alors que je prends ma douche et que je prépare mes affaires de concours, soit, mon ancienne veste de concours, mon pantalon blanc, mon polo blanc, et mes chaussettes noires, Chris prépare à manger, soit une pizza surgelée avec de la salade. Ni lui ni moi ne savons réellement cuisiner alors bon, il faut bien se nourrir. Je le rejoins à table, quand on entame une conversation qui ne nous plaît pas vraiment, et qui va vite déraper, je le sens.

"Il faudrait peut être que tu rentres chez toi un jour, suggérais-je en rigolant.

- Dit le si ça te fait chier que je sois là. Et puis c'est toi qui me retiens ici, sinon ça ferait longtemps que je serais déjà rentré chez moi, répond sèchement Chris.

- C'est pas ce que je voulais dire, mais puisque ça a l'air de te faire chier de rester ici, dégage, je ne te retiens pas.

- Fait pas la gamine ! Le ton commence à monter, c'est mauvais signe car aucun de nous deux ne saura le faire redescendre.

- C'est pas moi la gamine là ! Je te dis juste que ton appart va prendre la poussière à force que tu reste chez moi, mais tu me balance dans la gueule que je te force à rester ici, et que ça te fais clairement chier, alors dégage et me casse pas la tête !

- Tu veux vraiment que je me casse ?

- C'est ce que tu veux non ? Alors casse toi.

- Tu me soule. Vraiment.

- Tant mieux, ça me donne enfin une raison de ne plus te voir trainer chez moi.

- Et en plus de ça t'es vraiment conne, répond-t-il, une lueur blessée dans le regard."

Il rassemble les affaires qu'il avait ramené dans un sac et sort de mon appartement en claquant la porte. Je m'écroule dans le canapé en soupirant, en me disant que c'est un gamin. Alors que j'allais me coucher, je reçois un message de Chris.

"Je ne viens pas vous voir demain, ça ne sert à rien de venir pour se faire envoyer chier. A plus tard."

J'en balance mon téléphone dans le canapé. Il m'a énervée, alors je vais me coucher énervée, et je m'endors énervée.

Cheval, envole toi.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant