Et merde. Moi qui pensais passer inaperçue, je m'étais complètement gourée. Je jaugeais l'homme qui me faisait face du regard. Il haussa un sourcil, comme pour m'encourager. Je me levais le plus lentement qu'il m'était possible, cependant je bouillais de l'intérieur. Toutes les têtes étaient tournées vers moi, génial.
" Veut-tu bien te présenter à tes nouveaux camarades ? "
Je serrais les dents. Évidemment que je ne voulais pas, mais avais-je réellement le choix ? Comme à chaque fois que j'étais le centre de l'attention, je commençais à me tortiller sur place, à la fois gênée et énervée. Je n'étais pas timide, non. Associable peut-être. J'avais juste envie d'étriper ce satané prof, de prendre la porte et de...
" Tu te présente, ou tu veux que je le fasse à ta place ? "
Sa voix, condescendante au maximum, me fit frissoner. Son regard était moqueur et je serrais les poings: apparemment démontrer sa supériorité sur des adolescents soumis l'amusait. Le stéréotype du prof perdu et divorcé qui choisit de passer sa rancune sur des ados que sur une bonne bouteille de vodka bon marché. Et grâce à lui maintenant tous les élèves ricanaient. Je toussotais, histoire de gentiment leur demander de se la fermer.
" Hum... Je m'appelle Ana, j'ai à peu près votre âge et je vis ici maintenant. "
Je m'apprêtais à me rasseoir mais la veine qui commençait à battre sur le crâne chauve du prof m'en dissuada. Intérieurement je soupirais le plus fort possible.
" Je suis arrivée à ShadowsHill hier soir, ce qui explique le fait que j'arrive en fin d'après-midi avec un mois de retard. Euh... "
Je suppliais le prof du regard pour qu'il arrête cette torture. Il sembla se radoucir.
" Vous avez des questions ?
- Les cheveux violets, c'est génétique ? " ricana un garçon au premier rang.
Je lançais un regard noir à cet idiot dépourvu de matière grise. J'avais effectivement les pointes des cheveux teintes en violet, et alors ? Je baissais la tête. Les mots et les insultes fusaient dans ma boîte crânienne, mais rien ne franchissait mes lèvres, comme à chaque fois. Je m'étais toujours dit que j'étais enfermée dans un corps qui ne m'obéissait pas. J'avais deux mains gauches, et une bouche muette. Ce qui ne me donnait pas l'air idiote dans n'importe quelle interaction de type sociale, pas du tout.
" Tu peux retourner à ta place. " souffla le prof.
" Et bien c'est pas trop tôt ! " pensais-je. Toujours avec une lenteur exaspérante, je m'adossais à ma chaise. Le cours reprit là où il s'était arrêté, si ce n'est que maintenant une vingtaine d'élèves avaient remarqué ma présence - que je m'étais pourtant efforcée de cacher en restant discrète et en m'installant au fond de la salle - . Qu'on me foute la paix. Tout ce que je voulais, c'était ne pas être là. Ne pas être nulle part d'ailleurs. Merci Charleen, de m'avoir trimbalée à des kilomètres du seul endroit que je n'aurais jamais voulu quitter.
Quelque chose heurta ma tempe. Par réflexe, je me couvris la tête, ce qui fit éclater de rire je ne sais pas qui dans les rangées de devant. Le feu me monta aux joues. Je devais avoir l'air ridicule là. Une aubergine qui virait à la tomate - voilà à quoi je devais ressembler pour quiconque me lorgnait dans cette salle - . Je jetais un regard vers la gauche: une fille aux cheveux roses pleurait derrière son cahier. De rire, évidemment. " Et le rose, c'est génétique pétasse ? " hurla ma conscience.
" T'habitais où avant ? " fit une voix sur ma droite.
Je sursautais sur place, manquant même de partir embrasser le sol. Encore une fois, tout le monde me regarda, pendant que je dévisageais la fille qui se tenait à mes côtés. C'était une fille aux origines indéniablement africaines, très grande et qui faisait plus femme qu'ado. Ce qui attira mon attention - hormis la taille plus que discutable de ses seins - ce furent ses cheveux. Ils étaient sombres et frisaient, et je n'avais jamais vu une africaine avec d'aussi longs cheveux naturels.
" Elle vient de HellyBrook. - chuchota une fille de devant en me faisant un clin d'œil.
- Euh, oui... ? "
Cette dernière secoua la tête et sa tresse blonde lui fouetta les épaules. Mais où étais-je tombée ? Dans une classe de psychopathes ? Et puis quoi encore, elle connaissait la couleur de mes sous-vêtements ?
" Ah oui au fait, moi c'est Alice !" fit la blonde de sa voix fluette en me tendant la main.
J'effleurais ses doigts. Cela faisait des années que je n'avais pas touché un être humain, et la seule exception qui confirmait la règle semblait être à des années lumières de moi.
" Moi c'est Aïsha. Fais pas attention à Alice, elle sait tout sur tout dans ce bahut, sa mère est la dirlo. "
Je hochais la tête. Elle venait de détourner le sujet de conversation, et je l'en remerciait. Finalement il y avait peut être des gens normaux dans cette classe. Tout en écoutant blablater Alice, mon regard dériva de nouveau vers la fille aux cheveux roses. Elle envoyait des petits papiers aux deux blondes clonées qui lui faisaient face, tout en me jetant des regards tantôt pleins de mépris, tantôt... joyeux ?
" Et elle c'est Marie. Elle est pas méchante, mais pas non plus fute-fute. Et les deux jumelles blondes à qui elle parle, c'est Laurie et Lucille, le duo infernal. Elle viennent juste d'arriver et déjà tout le monde est à leurs pieds. Elles étaient en privé avant. "
Je baissais le regard sur ma table. Le prof venait de se retourner, scrutant les élèves qui lui faisaient face. Une petite voix me dit qu'éviter Alice et Aïsha n'était finalement pas une si bonne idée. Si je voulais me fondre dans la masse, autant supporter un peu de compagnie. D'autant que ces deux là étaient incroyablement bavardes; toute relation qui ne me demandait aucun effort de participation réciproque me satisfaisait amplement.
Un petit toc-toc léger retentit alors derrière la porte de la salle, coupant net le flot de voix qui auparavant noyait la voix du professeur.
" Monsieur ça a toqué ! - scanda le mec sans cerveau du premier rang.
- Non sans blague ? "
Le professeur sauta de son piédestal, faisant trembler toute la classe. La porte s'entrouvrit, et une paire d'yeux dorés se risqua dans la pièce.
" Romain ?
- M'sieur, la directrice demande une certaine Ana dans son bureau. "
Encore une fois, je senti mille regards se poser sur ma nuque. Pour ne pas changer.
" Tu as entendu Ana ? Allez ! "
En un geste du bras, je fourrais toutes les affaires éparpillés sur mon bureau dans mon sac - j'étais bordélique, oui - . D'un pas que je voulus léger, je rejoignis le blond devant la porte. En réalité j'avais l'impression de faire autant de bruit qu'une boule de chantier en béton. La dernière chose que je vis avant de quitter la salle fut le pouce levé d'Alice, puis la porte claqua juste devant mon nez. Le blond se retourna vers moi et se passa la main dans les cheveux, gêné.
" On y va ? "
Je ne me le fit pas répéter deux fois. Je le suivis donc dans les couloirs immenses, un peu inquiète à l'idée du jour où je me perdrais dans cet immense labyrinthe qu'était le lycée de ShadowsHill.
" Je regrette déjà de m'être levée ce matin. "
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Human - Somnum (tome 1)
ParanormalAna Mathews est l'exemple typique d'une adolescente à problèmes : en famille d'accueil, elle enchaîne conneries sur conneries, et du haut de ses seize ans, elle a déjà un casier judiciaire bien rempli. Malgré cette vie un peu bordélique, Ana a cepen...