Human - Somnum (tome 1)

Chapitre Trente-et-Un.

D'un air distrait, je secouais la paille en plastique qui se noyait dans le chocolat chaud géant qui me faisait face. À mes côtés Elody fixait mon verre, ses yeux émeraudes écarquillés, comme hypnotisée. En soupirant, je poussais celui-ci d'un geste du bras vers elle, et cette dernière s'y ventousa aussitôt de ses deux petites main, arborant une moue victorieuse.

Je me tournais alors vers la fenêtre, contemplant à travers la vitre qui me séparait du monde extérieur les habitants de ShadowsHill emmitouflés dans leurs écharpes et leurs bonnets se mouvoir en une foule compacte, entrant et sortant des magasins et des restaurants en une danse qui me fit perdre le mouvement de mes pensées.

" Tu n'es pas du genre loquace toi non ? " fit une voix grave.

Je me retournais vers mon interlocuteur, prenant le temps de le détailler pour la énième fois du regard. Un homme qui devait avoir la trentaine, brun, le front parcouru de rides, les yeux pétillants. Ce dernier passa nerveusement sa main sur son menton, tic qu'il avait à chaque fois qu'il essayait d'attirer mon attention et que tout ce que je faisais était de le fixer sans rien dire. Malgré son âge et sa carrure, on peut dire que je l'intimidais.

Assise à ses côtés, Charleen posa ses mains sur la table autour de laquelle nous étions assis, coupant cour à cette tentative de discussion ratée de son collègue.

" Tu veux un café Davis ? Ta tasse est déjà vide. "

Heureux de trouver un nouveau sujet de discussion, celui-ci opina du chef et insista pour accompagner Charleen au comptoir du bar.

Elody et moi les suivîmes des yeux, moi le menton posé sur mon poing, la fillette assise près de moi sirotant son chocolat chaud avec des aspirations appuyées. Le visage de celle-ci était orné d'un grand sourire, et elle se tourna alors vers moi, les yeux pleins d'une détermination farouche qui me fit sursauter sur mon siège.

" Maman a changé, tu trouve pas ? " chuchota-t-elle.

Je hochais les épaules, continuant de la fixer en coin et de regarder le comptoir. Je voyais très bien où elle voulait en venir.

" Elle ne s'attache plus les cheveux, même pour aller au travail. Ce matin elle nous à encore fait un gâteau, chose qu'elle n'avait jamais tenté avant. Elle arrête pas de sourire, elle porte du parfum et tu sais quoi ? Il y a des fleurs dans notre jardin. Des fleurs qui ont l'air en bonne santé. Waouuh. Maman est amoureuse.

- Si tu le dis. "

J'analysais la mimique qui s'affichait sur son visage d'un air sérieux. La plupart du temps, Elody parvenait à tromper tout le monde: elle jouait à la perfection le rôle de la petite fille de huit ans passionnée de poupées et de froufrous. Mais quand il n'y avait que moi, son comportement changeait du tout au tout. Cette gamine avait un esprit de déduction incroyable pour l'âge qu'elle était supposée avoir, et certaines de ses remarques, innocentes à première vue, devenaient particulièrement flippantes si on y prêtait attention.

Se rendant compte que je l'observait, Elody se pencha vers moi, les sourcils froncés.

" Peut-être qu'elle oubliera mon père un jour. "

Je haussais mollement les épaules. Avant même que je ne rencontre Charleen et que je ne vive avec elle, je savais que le père d'Elody n'avait jamais fait partie de leur vie. Charleen ne parlait jamais de lui, je n'en avait jamais vu aucune photo, et chose encore plus étrange, Charleen n'avait jamais dit son prénom, ni à moi ni à sa fille, qui elle-même portait d'ailleurs le nom de sa mère. Je ne savais pas pourquoi ils s'étaient perdus de vue, ni comment et où ils s'étaient rencontrés. Bref, dire que Charleen n'avait pas déjà oublié cet homme c'était plutôt peu crédible.