Chapitre Quinze.

2.3K 203 1
                                    

D'énormes nuages aux milles nuances de gris couvraient le ciel bleu pâle de Shadows Hill. La voûte céleste déversait depuis plusieurs jours des torrents et des torrents de pluie sur la petite ville, et depuis la fenêtre de la salle de permanence, je contemplais d'un air fasciné le déluge de l'autre côté de l'épaisse vitre de verre. Au fond de la salle, Mr Blair - alias Marc - me fixait de ses yeux verts un air moqueur sur le visage. Sans doute à cause du fait que j'étais la seule de ma classe - tout du moins une des seule malheureusement - à me taper une heure de colle à cette heure-ci.

L'histoire du fameux tonneau d'eau non seulement m'avais forcée à me ramener en cours une heure plus tôt que les autres, mais me forçais aussi à supporter la présence de ma pire ennemie dans cet endroit: Laurie, qui me jetait des regards haineux à chacun de mes mouvements.

Pendant une heure nous nous dévisageâmes en chien de faïence, prêtes à bondir l'une sur l'autre au moindre prétexte. À force de la regarder par dessus mon carnet de correspondance je commençais à remarquer certains détails sur cette fille que je détestais sans vraiment avoir chercher à la connaître. Par exemple que sous son bureau elle dissimulait "Les Fleurs du Mal", une œuvre de Baudelaire, livre pour lequel elle semblait vouer une concentration presque absolue. Ou alors qu'il lui arrivait de jeter des regards à son portable à l'insu de Marc et qu'elle rougissait de la tête au pieds la seconde d'après. Peut-être écrivait-elle à Raphaël.

J'en étais à me demander quelles étaient les raisons qui avaient poussées ce dernier à déclarer sa flamme à cette fille quand la sonnerie marquant la fin de l'heure résonna dans la salle. Je fourrais mes affaires dans mon sac à la va-vite avant de dépasser Laurie et de me diriger vers le gymnase. Nous avions cours d'éducation physique et sportive, histoire d'achever le reste de la classe qui contrairement à nous avait pu profiter d'une petite grasse matinée. Avec une démarche de mort-vivant je me dirigeais vers les toilettes. Tout le monde se changeait dans les vestiaires mais me mettre à poil devant tous les autres, non merci. Quitte à me tortiller dans un espace de la taille d'un tube de chantilly pour enfiler mon jogging.

En sortant j'attachais mes cheveux d'un chignon lâche complètement foireux, et parti m'asseoir dans les gradins. Le docteur de l'autre fois avait insisté pour me faire une dispense de sport en épluchant mon dossier médical, histoire de dire qu'il faisait son métier. Quand à moi je détestais être assise à rien faire, et je m'obstinais à me ramener en tenue de sport sous le regard désapprobateur de Mr Lee, le prof d'éducation physique, un petit homme d'origine chinoise musclé et baraqué comme pas possible.

Les filles me cherchèrent du regard, me firent salut de la main et coururent vers le terrain. Alice semblait avoir repris des couleurs depuis la dernière fois, et elle était redevenue la fille sympathique mais légèrement saoulante que j'avais connue à mon arrivée. Sa natte lui fouettait le bas du dos cependant que sous les ordres de Mr Lee elle et les autres commencèrent à s'étirer. Je les regardais de loin, m'isolant mentalement comme je l'avais fais depuis la fameuse soirée.

Quand j'étais rentrée chez moi, que Charleen m'avait forcée à manger un repas décent, et qu'Elody m'avait écrasée de câlins, mon portable avait vibré et je m'étais enfermée dans ma chambre un peu angoissée, téléphone à l'oreille. Aïsha m'avais gentillement engueulée pour ma disparition, et m'avait raconté comment la voiture d'Erwan avait pris feu et explosé à cause d'une cigarette mal éteinte. Ce dernier avait fini avec trois points de sutures, une bonne frayeur, et la honte de sa vie quand il avait appris que poussée par les filles, Alice, avec sa mère, avait porté plainte. En bref il était dans la merde, mais ce qui lui arrivait ensuite je m'en foutais un peu.

Ce qui me torturait l'esprit c'était ce que je n'avais raconté à personne. Le fait que j'avais failli, intentionnellement ou pas, tuer ce garçon. En tout cas qu'il s'en était fallu de peu pour que je ne le broie lui comme sa voiture. J'avais passé la nuit à me réveiller en pleine angoisse, submergée de souvenirs douloureux et de rêves sans sens, à me poser des questions sans réponses.

" Quelque chose cloche chez toi. " me convainquais cette voix intérieure à la con que je ne pouvais plus faire semblant de ne pas entendre. Quelque part cela me semblait illogiquement logique: rien dans les quelques années qui avaient étés ma vie n'avait été ce que l'on pouvait considérer comme normal, ce qui avait fait de moi la personne méfiante et impulsive que j'étais aujourd'hui.

Une main se posa sur mon bras et je la retirais en sursautant, refusant le contact. Pas surprise le moins du monde, Sarah s'assit à mes côtés et secoua ses cheveux. Les boucles en argent qu'elle portait toujours sur le lobe de ses oreilles semblèrent étinceler. Deux petits soleils argentés, qui reflétaient les quelques rayons matinaux qui s'aventuraient dans le gymnase malgré le temps épouvantable au dehors.

Je m'attendais à un "ça va", à un silence gêné, mais sûrement pas à ce qu'elle me dise en fixant un horizon inexistant:

" T'isoler ne va pas les protéger tu sais. "

Figée, je fixais à mon tour ce point sans nom et chuchotais presque:

"Je ne vois pas de quoi tu parles.

- Oh que si, tu sais très bien. Et je le sais tout autant. "

D'un pas silencieux elle se dirigea vers le terrain, annonçant d'un geste du bras qu'elle remplaçait une autre élèves. Me laissant seule, complètement paumée. Je me levais à mon tour, avec l'intention de quitter cet endroit à l'atmosphère soudainement étouffante, lorsque je faillis glisser sur une feuille. En soupirant je me baissais pour la ramasser et fus parcourue d'un frisson.

" Alexis Weiss, 1ère L. "

Un simple prénom, écrit d'une écriture pressée.

Human - Somnum (tome 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant