Chapitre Trois.

4.6K 313 14
                                    


La journée était enfin terminée, et je me dépêchais de rentrer. On était en début d'octobre, en fin d'été donc, et le temps était doux. Un vent chaleureux se frayait passage entre moi et les autres lycéens. Pour la première fois depuis mon arrivée ici, je me sentis bien. Je n'avais passé même pas une heure en classe, et pourtant j'avais déjà mémorisé quelques noms. Aïsha Monoui. Alice Brown. Laurie et Lucille Avery. Marie Burnett. Et puis Mr Blair aussi, un surveillant qui m'avait guidée jusqu'à ma classe en me suppliant de l'appeler Marc et non pas "monsieur". Ah, et aussi Mr Jenner, le prof de physique-chimie psychopathe qui avait failli me pousser à bout. Tout ce monde d'un seul coup, c'était beaucoup pour une personne comme moi qui n'avait jamais eu autant de compagnie.

Inconsciemment, j'avais porté la main à ma tempe, prise d'un mal de crâne furieux. Je ralentis et levais la tête. Autour de moi, les autres élèves se mêlaient avec ceux des bâtiments environnants. Ici, les écoles publiques se situaient dans les mêmes quartiers. C'est donc sans étonnement que je vis des élèves de primaire se mêler aux autres de mon âge. Chacun rentrait chez soi, le vacarme assourdissant d'ados heureux témoignant de leur joie.

Je marchais encore un peu, écouteurs fourrés dans les oreilles, de l'Oasis à fond dans les tympans. J'aurais voulu traîner dehors histoire de découvrir le quartier, mais on m'avait clairement dit qu'il fallait que je rentre avant le couvre feu - oui oui il y avait un couvre feu dans cette ville, à vingt-trois heures précise - .

Je vis le toit d'une église au loin, et je su que j'étais arrivée. Devant moi se dressait maintenant une grande maison en bois peinte en blanche. Elle était entourée par deux grands arbres, qui séparaient notre terrain de celui du voisin, et masquaient le petit chemin de Pierre qui menait à un mini jardin et une minuscule terrasse à l'arrière. Contrairement aux jardins de ceux d'à côté, il n'y avait pas de fleurs et tout le tralala, juste une jungle d'herbe hautes et de coquelicots sauvages. Hors de question de débroussailler quoi que ce soit. Charleen n'avait pas le temps pour ça. Et moi, pas le courage.

Je poussais la porte d'entrée avec soulagement, avant de me rappeler l'endroit où j'étais. Ma nouvelle maison. Que dis-je, la nouvelle demeure. C'est pas que j'aimais pas l'endroit, ou le trouvait moche. C'est juste que je ne ressentais aucun sentiment précis en entrant dans ce lieu. Pas un meuble, pas un bruit: cet endroit était un château de cartons. Ici et là, des empilements de trucs emballés surgissaient du sol. Je lâchais mon sac et titubais dans le rez-de-chaussé. Visant une chaise qui était miraculeusement posée au centre de la cuisine, je m'écroulais dessus. J'étais littéralement crevée. Mon pauvre cerveau surchauffait. J'étais ce genre de personne qui parlait tellement plus dans sa tête qu'avec sa bouche que chaque soir je me récoltais des migraines. Des maux de tête. C'était "chronique" m'avait-on dit il y a des années. Et malheureusement pour moi, dans ce labyrinthe, je ne risquais pas de trouver un doliprane ou une connerie du genre. J'étais seule, je ne savais même pas quoi manger ce soir, ni ou étais ma chambre.

En râlant je me relevais. Quitte à mourir de fatigue, autant le faire dans un endroit convenable. Je trottinais jusqu'à l'escalier, attrapant mon sac d'un air las, puis grimpais les marches une à une. Le bois grinça sous mon pied, ce qui me fit frissonner. Une maison vide et flippante. Génial.

Je me sentais de plus en plus exténuée, et ce fût avec un coup de pied peu énergétique que je poussais une porte au hasard. Tapisserie rose, lit à baldaquin: visiblement pas ma chambre mais celle d'Elody. Cette gamine avait pour passion les vieilles poupées de cire aux regards vitreux, et ces dernières me fixaient de leurs yeux vides depuis le fond de la pièce. Lugubre passion pour une fillette. Je continuais mon exploration et donnais un autre coup dans une autre porte. Je risquais un regard dans la pièce, et fus agréablement surprise. La pièce n'était ni trop petite ni trop grande - un peu trop pour moi tout de même - et déjà à moitié emménagée, bien que je n'avais que très peu d'affaires personnelles. Le mur qui penchait à cause du toit était peint en violet pâle, les autres en gris clair. Il y avait un lit deux places sous le toit à ma gauche, un fauteuil bourré de coussins dans un renfoncement de la pièce, un bureau imposant au pied d'une fenêtre assez large qui donnait vue sur un parc, une commode contre le mur opposé au lit, des cartons ici et là et...

" BORDEL DE... "

Je plaquais ma main sur ma bouche, consciente du son aiguë qui venait de s'en échapper. Fébrile, je sautillais sur place, tournais en rond sur moi même, fermais les yeux, et me pinçais même le bras. Mais non, je ne rêvais pas. Mon sac vola à l'autre bout de la pièce - pauvre sac - et je me précipitais sur l'objet de mes rêves.

Un piano. Un magnifique piano trônait dans un coin de la chambre. Du bout des doigts, j'effleurais les touches nacrées et un son cristallin résonna dans la maison. Je restais immobile, le doigt posé sur une touche, la bouche légèrement entrouverte. Je jurerais même entendre le bruit de mon occipital se dégonfler dans mon crâne. Peut importe. Mon pouce souligna les coins de l'instrument. Ce n'était pas un de ses trucs noirs et gigantesque. Il avait été peint en gris clair, et la peinture était écaillée par endroits. Il était comme sorti d'un autre temps. Inconsciemment, je m'étais assise sur le tabouret qui lui faisait face et fredonnais déjà quelques notes dans ma tête.

Contrairement à ce que croyaient les gens, je n'avais jamais pris de cours de piano de ma vie. YouTube fait des merveilles, voilà tout. Avant, je s'introduisait dans le centre commercial quand la nuit se levait et je jouais sur les grand instruments à touches disposés pour être vendus. Mais ça, c'était avant le d'emménagement. Avant...

Un son strident me perça le tympan. Je fronçais les sourcils. Le bruit se répéta. Comme dans un écho, j'entendis mon nom se répéter.

" ...na ! Ana !!! ANAAAA... "

Réveillée de mes rêveries en sursaut, je bondis de mon siège , claquait la porte de la pièce en courant et dévalais les escaliers. Je freinais juste avant de me prendre une pile de carton en pleine face, et pilais vers la porte d'entrée. Celle ci s'ouvrit et une tornade ébène me sauta dessus.

" Annaaa ! Je me suis fait un nouveau copain à l'école, c'était super ! En plus, le prof il est... "

Je hochais la tête et tirais Elody à l'intérieur. Cette dernière comme toujours avait eu l'étrange lubie de se vêtir d'une énorme robe à froufrou et de ballerines à lacets, histoire de ressembler aux choses flippantes qui décoraient sa chambre.

C'est alors que je remarquais que sur le perron, un regard émeraude me fixais.

" Salut.

- Salut.

- T'as passé une bonne journée ?

- Ouais. "

Charleen entra à son tour, et souleva une mèche qui sortait de son impeccable chignon.

" Ça vous dit un resto japonais ? J'ai pas encore remplis les placards... "

Elody se précipita vers sa mère en hochant la tête, et je bougeais mollement les épaules. J'aimais pas les restaurants. Mais faire les courses encore moins.

Human - Somnum (tome 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant