Chapitre Cinq.

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Depuis aussi loin que je me souvienne, j'avais été ce que l'on appelait une enfant à problèmes. Je n'avais jamais compris le pourquoi du comment. Dans tous mes souvenirs récents, je ne faisais que répliquer aux agressions et aux insultes, et à chaque fois c'est moi que l'on réprimandait. Nombre de fois un adulte différent m'avait fait face, un air désapprobateur sur le visage. J'étais têtue, bornée, et sournoise d'après eux. En grandissant, en murissant, j'avais compris que le problème venait réellement de moi. Je ne créais pas les ennuis; je les attiraient. Et ce qui m'a valut ce surnom d'enfant bornée, c'était ma manière de réagir aux problèmes. A chaque fois je promettais à qui voulait l'entendre que je prendrais sur moi, mais comme on dit, le naturel revient toujours au galop. Je ne pouvais m'empêcher de démarrer au quart de tour, surtout lorsque la raison de mes actions était une personne à qui je tenais.

A Charleen aussi je lui avait promis de bien me tenir, mais le fait que j'arpentais à l'instant les couloirs silencieux du lycée prouvait que encore une fois, j'avais laissé tomber.

Il n'y avait pas âme qui vive dans le grand bâtiment, et pour cause: la nuit était déjà tombée depuis belle lurette. Les ombres sinistres des arbres au dehors projetaient des silhouettes lugubres sur les murs. Les branches claquaient contre les vitres, et le clignotement vert de l'alarme incendie dans un coin était la seule chose qui faisait de la lumière. Évidemment je n'en étais pas à ma première escapade nocturne, et rien de tout cela ne m'effrayais réellement. En revanche, l'adrénaline et l'excitation me faisaient respirer à une saccade irrégulière, et mon souffle me sembla faire autant de bruit que celui d'un bœuf.

" Petite trouillarde. "

J'arrivais devant l'imposante porte du bureau de la directrice. Même dans le noir son imposante stature se démarquait de celle des autres portes. Je saisis la poignée et la tournais délicatement. Elle était fermée à clef. Il s'agissait d'une vielle porte au verrouillage rudimentaire, comme je l'avais prévu. Je sortis de ma poche un tournevis, et dévissais les quatre coins de la poignée d'un air un peu tendu. Bientôt, les visses roulèrent sur le sol, et je sursautais. La porte s'entrouvrit d'elle même.

Un peu trop facile à mon goût. Je jetais un œil à travers la pièce. Dans l'obscurité se découpait le grand bureau. Le ciel lui faisait face, et sur ce tableau d'un bleu sombre se tenait la forme du grand fauteuil, dont la silhouette était semblable aux contours d'un être humain. Cette image me mis en alerte. Si il y avait eu quelqu'un, il aurait remarqué qu'il y avait eu du bruit non ? Et puis qu'est-ce que ferait le personnel dans un des bureaux du lycée à cette heure là ?

Je soupirais et entrait dans la pièce. Par réflexe, je regardais par dessus mon épaule. Mais non, la personne que je cherchais du regard n'était pas là. Et ne le serait plus jamais. Perdue dans mes réflexions, je me pris la hanche dans l'angle du bureau, ce qui me fit lâcher un cri.

" Et merde ! "

Je titubais vers le devant du meuble et glissais mes doigts sous les tiroirs. "Bingo." Même Mme Brown ne faisait pas exception à la règle: la clef des étagères était cachée là ou n'importe qui l'aurait caché. Je décrochais le morceau de scotch qui la tenait et regardais le petit objet en métal. Celui-ci s'inséra parfaitement dans la serrure de l'une des étagère; qui s'ouvrit dans un grincement effroyable.

A l'intérieur se trouvait ce que je cherchais: des piles et des piles de documents, marqués par les noms des élèves auquel ils correspondaient.

Ce que m'avait dit la directrice il y a deux jours avait retenu mon attention: elle connaissait TOUT ce qui concernait ses élèves. Et j'étais à peu près sûre que notre chère Mme Brown notait scrupuleusement tous ces détails dans ses chers dossiers.

Du bout des doigts j'effleurais la corne de chaque pile, et bientôt le nom de ma classe figura devant mes yeux. Doucement je soulevais une nouvelle pile, et un nom me fit sourire.

" Laurie Avery. " lâchais-je, au comble de l'excitation.

Savourant ma trouvaille, je sortis le dossier de sa place et le posais sur le bureau. Je l'entrouvris et parcourais rapidement les lignes administrative. Rien. Laurie était apparemment une élève modèle. Des notes excellentes dans toutes les matières, des appréciations positives de tous les professeurs, le petit complet de l'élève sans défauts. Je pestais presque, mais retenu néanmoins de noter l'adresse des Avery sur la paume de ma main.

" Je vois. Rien de bien intéressant. "

Un grincement se fit entendre derrière moi.

" Effectivement, si tu cherche des trucs importants il vaudrait mieux se servir de l'ordinateur. "

Je sautais sur moi même, lâchant à mes pieds la pile de papiers que j'avais dans la main. En face de moi, sur la chaise de la directrice -comme je l'avais supposé au début- se découpait effectivement une silhouette humaine. Je reculais instinctivement, pendant que la personne se relevait. Malgré le peu de lumière, je pu l'observer dans les moindres détails: c'était un garçon d'environ mon âge, aux yeux sombres, au teint hâlé et aux cheveux blonds. Il portait un bonnet sur la tête, et un grand sweat noir. Je ne l'avais jamais vu, cependant il me lâcha un sourire. Je triturais le collier qui entourait ma nuque, nerveuse. " Ça ce n'était pas prévu. "

" Qu'est-ce que tu cherches ici Ana ?

- Co... Comment tu connais mon prénom ?

- Que je sache, il y a une seule fille aux cheveux violets qui fait autant de bordel que toi à son arrivée. "

Je grinçais des dents. Était-ce de l'agacement dans sa voix ou... de l'amusement ?

" Bref je me répète: qu'est-ce que tu cherches ici ?

- Est-ce que ça te regarde ?

- Tu es sur NOTRE lieu de rendez-vous. "

" Mais qu'est-ce qu'il raconte ? " Je fis le tour de la pièce des yeux, puis me retournais de nouveau vers l'inconnu.

" Notre ? Tu veux dire toi et moi ? "

Il éclata de rire, dévoilant, une rangée de dents qui brillèrent dans le noir.

" Non mademoiselle, j'ai d'autres priorités que toi dans la vie. "

Je sentis mes joues s'enflammer. Lui se leva, et d'un bond sauta par dessus le bureau. Une légère odeur de cannelle chatouilla mon nez. Moins de quelques centimètres nous séparaient désormais, et sa respiration sifflante parvint à mes oreilles. Il semblait maladivement pâle de près et je remarquais alors que sa tête virait au rouge tomate. Par réflexe -très stupide réflexe- je posais ma main sur son front. Il se dégagea violemment et me tira la langue.

" Tu ferais mieux de filer, il va arriver.

- Qui c'est, il ?

- Quelqu'un qui risquerait de se fâcher si il découvre qu'on a eu cette discussion. "

Je plissais les yeux.

" C'est quoi ton nom ?

- Walker.

- Ton prénom ?

- Tu veux savoir la couleur de mon caleçon et mon signe astrologique aussi ? "

Je rigolais sarcastiquement, et lui même esquissa un sourire.

" Je n'aurais jamais imaginé que tu pouvais sourire. "

Laissant en plan sur le bureau les dossiers que j'avais ouverts, je reculais vers la porte et laissais échapper:

" Il te reste beaucoup à apprendre alors. "

Puis je disparaissais dans l'obscurité du couloirs. Je jurerais l'avoir entendu chuchoter.

" Analya Matthews. On se reverra. "

Je frissonnais. " Oui, on se reverra. " J'en avais le pressentiment.

Human - Somnum (tome 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant