Prologue ~ La Dernière Lueur

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     L'âme brisée, le cœur fracturé, l'élémentaire avança quand les gardes lui ouvrirent l'immense porte noire. Il leva les yeux, subjugué par sa façade colossale, puis contempla le diamant pourpre aux reflets lugubres incrusté en guise de poignée.

     Il déboucha dans la salle du trône, comparable à celle des plus grands châteaux et temples ancestraux. De larges piliers de marbre ébène ornés de pierres d'émeraude, d'or et de béryl grimpaient au plafond, dont la voûte imperceptible disparaissait dans l'obscurité. Un dallage sombre et luisant recouvrait le sol, si bien que le visiteur pût apercevoir son reflet lorsqu'il baissait la tête. Celui d'un ami, d'un fils, d'un frère...

     Celui d'un traître.

     Il poursuivit sa route sur un long tapis immaculé. Sa couleur de sang rappelait, à bien des égards, l'odeur de mort qui parsemait chaque centimètre du lieu. À chaque extrémité, des flammes violettes dansaient en lévitation, dégageaient des lueurs sépulcrales sur le reste de la salle et s'amplifiaient lorsqu'il passait à leur hauteur. Malgré leur chaleur, l'atmosphère demeurait glaciale.

     Muni de sa cape argentée, l'ustralois finit par arriver au seuil des marches, sur lesquelles jonchaient toutes sortes d'ossements et de cadavres en putréfaction. Ses mains devinrent moites. Les martèlements de son cœur s'intensifièrent. Pourtant, rien dans son attitude ne laissait transparaître l'absolue terreur qu'il tentait de dissimuler.

     Il ôta finalement sa capuche et exposa son visage à l'Ombre, installée sur son trône carboné. Le sourire qu'elle lui adressa lui glaçait le sang, menaçait d'ébranler ses dernières parcelles de courage, mais il résista. En dépit du dénouement inévitable qui l'attendait, il soutint son regard.

     Le seigneur des ombres était, lui, confortablement assis. Des mains aux longs doigts squelettiques reposaient sur ses genoux, eux-mêmes dissimulés sous un voile opaque. Deux cristaux pourpres remplaçaient ses yeux et dansaient dans ses orbites vides. Sans prononcer le moindre mot, il tourna la tête vers la droite, puis toisa sa prisonnière avec dégoût, obligeant son hôte à l'imiter.

     Il s'agissait d'une jeune femme aux courts cheveux roux, dont les vêtements calcinés dévoilaient des trous à divers endroits. Son visage était émacié, couvert de plaies rougeoyantes et de taches de sang séché. Un bâillon terreux enveloppait sa bouche tandis que de multiples barbelés enserraient son corps à un des piliers, laissant de minces filets écarlates s'écouler de ses entailles.

     L'élémentaire lutta de tout son être pour ne pas flancher. Il dévisagea la victime mystérieusement endormie, conscient qu'il ne pouvait désormais plus rien pour elle, et reporta son attention sur le démon.

— J'ai cru que tu ne viendrais jamais, murmura ce dernier d'une voix rauque. Et pourtant... tu as, une fois de plus, réussi la tâche qui t'a été confiée.

     Il désigna la jeune femme du doigt.

— Quand a-t-elle pris conscience de sa luminosité ?

— Jamais, rétorqua le visiteur d'un ton plus ferme qu'il ne l'avait voulu. Elle a eu des doutes lorsque ses iris ont commencé à changer de teinte, mais elle n'a...

     Il s'interrompit, forcé de déglutir avant d'achever son rapport :

— Elle n'a finalement pas eu le temps de s'en rendre compte.

     Satisfaite de cette réponse, l'Ombre dévoila en guise de sourire des dents irrégulières et calcifiées. Après quoi, elle se leva de son fauteuil adamantin.

— Tu te doutes cependant que cette misérable ne me suffira pas ?

     L'ustralois ne sut quoi répliquer. Son rythme cardiaque s'intensifia quand il comprit où elle voulait en venir.

— Mais... je pensais que...

— Je le pensais aussi. C'est pourquoi je t'ai convoqué aujourd'hui. Je vais encore devoir t'utiliser.

     L'élémentaire observa son hôte retourner vers son trône. L'envie de fuir lui traversa l'esprit, mais il savait qu'il ne quitterait cette salle que s'il lui en donnait la permission. Au lieu de quoi, il prit sur lui et attendit ses nouvelles directives.

— Vois-tu, une rumeur court depuis peu sur Ustral et dans les rangs de mes serviteurs. Selon elle, un sage légendaire aurait reçu des dieux une prophétie mentionnant une arme capable de mettre un terme à mon ascension. Bien que je ne porte d'habitude aucune importance à ces messages stellaires, celui-ci évoquerait également la présence d'un élémentaire... à la même particularité que cette jeune femme.

     Il pointa la prisonnière du doigt.

— Une Lumière, cracha-t-il. Une Lumière cachée sur le continent et qui serait liée à cette arme en question. Nous savons tous les deux ce que le retour de cette dynastie engendrerait. Je refuse de laisser cela arriver.

     Le visiteur hocha la tête. Sa gorge se noua lorsqu'il vit l'Ombre récupérer un sceptre posé à côté de son trône. Long d'un bon mètre et à l'instar des piliers qui soutenaient la salle, il était parsemé de pierres précieuses. Une faux en bronze fixée à son extrémité laissait s'écouler un étrange liquide verdâtre.

— Nous allons donc chacun avoir une mission, reprit le démon. Je vais envoyer mes disciples afin qu'ils retrouvent ce stupide oracle. Pendant ce temps, tu continueras à me dénicher ces êtres à la même spécificité que cette moins que rien. Lorsque ce sera fait, tu auras juste à me les amener, et je prendrai le relais.

     Sachant pertinemment qu'il ne pouvait le contredire, ni même lui faire part de son opinion, l'ustralois acquiesça à contrecœur.

— Excellent...

     L'Ombre se rapprocha de la prisonnière endormie. Elle plaça l'extrémité de la faux sous son nez, puis attendit avec un sourire machiavélique. Il ne fallut que quelques secondes pour que les effluves nauséabonds s'infiltrassent dans ses narines et agressassent son organisme.

     La jeune femme revint à elle dans un hurlement de douleur. En essayant de se débattre, les barbelés s'enfoncèrent plus profondément dans sa peau et, lorsqu'elle comprit qu'elle ne pouvait rien faire, elle s'immobilisa, le visage ruisselant de larmes. Son regard passa de l'incrédulité à la stupéfaction quand elle aperçut le visiteur.

— Et si on lui enlevait ce qui l'empêche de s'exprimer ? proposa le démon, avant de trancher le bâillon qui la réduisait au silence.

     Contre toute attente, elle n'appela pas à l'aide et se contenta de dévisager l'élémentaire. Ce dernier eut l'impression d'être poignardé en plein cœur.

— Co... Comment as-tu pu ? souffla-t-elle, à la limite de la pâmoison.

     Observant les réactions de son invité du coin de l'œil, l'Ombre lui glissa en même temps que les protestations de la jeune femme :

— Ceci n'est rien d'autre que le prix à payer si tu veux que notre accord soit respecté. Estime-toi heureux de ne pas avoir à achever le processus toi-même. Et bien qu'il me semble inutile de te le rappeler, ne t'avise jamais de te retourner contre moi.

     Sous les yeux de son hôte, le démon se plaça derrière la prisonnière et tendit son sceptre. Elle se remit à hurler et à se débattre, ignorant cette fois les blessures des liens qui l'entravaient.

     Comme il l'avait appris, l'élémentaire retint sa respiration, refoula avec désespoir le tumulte qui s'agitait en lui. De la colère. De la peur. Des larmes. L'une d'entre elles tenta de glisser le long de sa joue, mais il l'essuya en un rien de temps.

— Comment saurez-vous quel ustralois est celui de la prophétie ? demanda-t-il en s'efforçant de garder un contrôle sur sa voix.

— Ne t'en fais pas pour ça. J'ai ce qu'il me faut pour m'aider à l'identifier, lui murmura l'Ombre.

     D'un geste vif, elle trancha finalement le cou de la condamnée, qui, dans un bruit étranglé, inonda les dalles noires de son sang.

     Elle succomba dans la minute qui suivit, les yeux dorés privés de leur ultime éclat de vie.

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Immediate Music ~ Entombed ♪

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Le Conte d'Ustral. Tome 1 ~ L'Oracle du TempsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant