Chapitre neuf. Syl'Enna.

73 14 2
                                    


Des nuages épars l'embrouillent, dans ce drôle de bruine, les méninges de la jeune femme tournent à cent à l'heure tandis qu'elle tourne les talons. Tout est d'un blanc immaculé autour d'elle. Trop, pour être réel. Son palpitant bat dans sa poitrine, menaçant d'exploser, insinuant dans ses veines un sentiment de panique, un goût âpre d'angoisse sur ses papilles s'insinuant jusqu'au creux de sa gorge, l'étouffant presque. Une crise d'angoisse. Elle sent le fourmillement dans ses membres, de la plante de ses pieds jusqu'au bout de ses doigts. Abbie inspire et expire longuement, avançant dans l'espace immaculé, perdue et angoissée. Elle ne comprend pas ce sentiment. De vagues souvenirs lui reviennent en mémoire, tandis qu'elle progresse lentement. Une arme en main. Deux prunelles grises vrillant les siennes. Doucement, et graduellement, un son parvient jusqu'à ses esgourdes. La mélodie de la Taverne ... Pourtant, elle n'est que fredonnée, mais l'air ...

Oui, Abbie connaît cet air. Le trouble qu'elle avait ressenti plus tôt revient en elle, se mélangeant à la panique pour former un cocktail de sensations électrisantes et inquiétantes. Un mot, un seul, menace d'être gerbé de ses lèvres tremblantes. Elle le tient, là, juste sur le bout de sa langue. Le voile de brume épais s'ouvre alors au loin, ne formant qu'une tâche brune. Poussée par un besoin viscérale, Abbie continue son chemin, ses pas glissant lentement sur un sol froid et tout aussi blanc que le reste. Pas un son à part le fredonnement ne perse l'espace. Même pas l'écho de ses pas. Lorsqu'elle baisse ses iris clairs, la jeune femme distingue la tenue d'un blanc parfait qu'elle porte. La même qu'elle abordait en se réveillant sur la table froide. Plus aucune tâche n'apparaît, et ses mains à nouveau dégantées n'ont plus aucunes traces d'hémoglobines, ses mains striées de cicatrices déjà pratiquement guéries. Ses arques se froncent, formant un petit V entre ses iris troubles. Le fredonnement se fait alors plus intense, s'insinuant en elle, vibrant. Chaud. Familier.

Elle doit s'approcher encore. Abbie lève les yeux, admirant l'immense chevelure d'un noir de jais s'éparpiller telle une cascade sur les épaules d'une femme assise au sol. Elle lui tourne le dos, les bras invisibles, recoquillée devant sa silhouette galbée et recourbée. Au rythme de ses fredonnements, du mouvement de ses épaules et de sa tête obliquant sur le côté, la jeune femme devine qu'elle tient quelque chose dans ses bras. Non, pas une chose. Un enfant. Une mère chantant une berceuse ... La berceuse de la dame de fer.

« - M- ...

Le mot est là, prêt à jaillir.

- Làà ... Chhht, doucement ma puce.

La voix est si douce ... Si belle. Les prunelles d'Abbie s'humidifient, tandis qu'elle ouvre encore la bouche. Une main tendue en avant. Elle doit l'atteindre, elle le doit !

- M-Maman ... Geint-elle, d'un ton si suppliant, qu'elle ne se reconnaît pas elle-même. Tant de détresse dans sa propre voix.

Les fredonnements cessent d'un coup, la tête de la femme dodelinant sur le côté. Elle ne la voit pas, elle ne voit pas son visage ! Seul un petit bout de nez dépasse timidement de la cascade de filets noirs.

- Qui est là ?

- Maman, c'est moi ! Abbie ! Souffle la jeune femme en avançant d'un pas rapide, avant de s'arrêter net. La silhouette de sa mère reste pourtant à longueur de deux bras, ses pieds détalent sur l'esplanade plate, accélérant progressivement.

Elle reste inaccessible, la jeune femme court pourtant à s'en déchirer les poumons, avant de trébucher en s'étalant de tout son long.

- Nan !

Des milliers de pas frappent la glèbe, vibrant jusqu'aux os de la brune. Son souffle semble pulser dans ses tympans tout comme les battements de son cœur. Bientôt, le tableau pâle se noircit, de jambes bottées. La silhouette de sa femme brune s'agite, tandis que plusieurs soldats viennent à elle.

ECHOS - La sentinelle pourpre. T.1 ( 1er jet ) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant