NOTE D'ABBIE ELIOTT
Enfant, j'avais un petit problème ...
Voyez-vous, durant toute mon enfance ou presque, j'avais un syndrome commun chez les gosses. L'ami imaginaire. Le mien, je le voyais partout. J'en parlais toujours, et s'il mettait bien une semaine à faire le fantôme avant de m'apparaître, j'angoissais. Le genre d'angoisse qui se mue en crise et qui vous prend aux tripes. Je ne sais pas pourquoi, je l'ai toujours eu dans la peau. Comme si j'étais ... Connectée à lui. A cause de ça, je passais très peu de temps avec les enfants de mon âge. Déjà, à l'époque, j'étais taciturne et encline à m'isoler dans un coin. Et ça m'allait très bien. Tant que lui venait me rendre visite, tout allait bien ... J'avais de bonnes notes, j'étais sage, attentive ... Mais parfois complètement à l'Ouest. Je m'isolais d'un seul coup, et plus personne ne pouvait m'adresser un mot. Je n'écoutais déjà plus.
Un jour, quand j'avais neuf ans, mon grand-père a commencé à paniquer. Je ne lui avais jamais dit le nom de ma chimère personnelle. Puis, sans trop faire attention, je l'ai mentionné. J'ai vu son regard, je sais que je ne suis pas dingue. Il a commencé à s'énerver. A me punir de plus en plus, à tout faire pour que j'arrête mes délires. Et plus ça allait, plus mes propos l'inquiétaient. Il a commencé à m'amener chez un psychologue. Là, ce binoclard coincé me balançait des mots tels que : Relation interpersonnelle, avec sa petite voix de bourge. J'avais envie de lui planter ses crayons à plume d'or dans la trachée. Je me souviens surtout de ces propos-ci. Je ne sais pas pourquoi, sur le coup, ça m'avait choquée. Le médecin de l'âme assurait tout aussi bien que normalement, ces syndromes apparaissent durant la petite enfance. Et que plus cela tardait, plus il était urgent de trouver une solution. Mais je me braquais toujours. Comment pouvaient-ils seulement vouloir m'arracher mon meilleur ami ? Il connaissait mes pires craintes, avait toujours les mots justes. Surtout ... Lorsque je pleurais à cause du manque de mes parents. Je n'ai jamais vraiment digéré leur absence. Et le pire, dans tout ça, c'est que mon grand-père n'a jamais réellement su me dire où ils étaient. Tout ce dont j'ai toujours le droit, c'est à : ' Ils sont ... Ils devaient s'absenter. On ne les a jamais revus. ' Puis il me congédiait comme si j'étais l'un de ses vulgaires petits soldats. Ca avait le don de me mettre dans une colère noire. Je me souviens que mon ami, lui, me répétait toujours ces mots : ' Tu sais, Abbie ... Tes parents sont toujours là, quelque part.' Alors, je le regardais, avec mes yeux remplis d'espoir. Et je murmurais un simple : ' Mais où ?'. Il n'a jamais trouvé la réponse que j'attendais, mais il en disait déjà bien plus qu'Edgard. Et j'ai commencé à divaguer et à imaginer que j'avais des parents espions, ou peut-être même des témoins sous protection, obligés de laisser leur existence et moi derrière eux. Un ultime sacrifice pour me sauver d'une vie de fuite et de misère. Comme tous les gamins, j'ai levé mes géniteurs au rang de héros.
Quant à mon ami, il grandissait avec moi. Ou plutôt, prenait plusieurs centimètres de plus que moi à vue d'œil année par année. Puis un jour, j'ai eu 9 ans, lui, en avait 19. Il était beaucoup plus âgé, et il devenait de plus en plus beau à mes yeux, pas seulement physiquement, mais dans l'âme. Je crois que c'est ça, qui a fait monter mon grand-père sur ses grands-chevaux. Il se figurait que je m'imaginais déjà un amoureux bien plus vieux, alors que tout ce que je voulais, c'était quelqu'un qui me comprenne. Lui, il me comprenait. Il était ce petit morceau de mon âme, celui que tout le monde cherchait. Mais plus il grandissait - bien plus vite que tout être humain normal, et ce n'est pas figuratif-, et plus il semblait ... S'assombrir. Son image se disloquait, comme une vieille bande passante. Vers la fin, j'avais de plus en plus de difficultés à le distinguer. Sa voix devenait toujours plus grave, plus inquiète.
Puis, la dernière fois que je l'ai vu, il m'a regardé comme si l'heure était grave. Je crois même que je l'ai vu pleurer. Il répétait encore et encore : ' Pardon, Abbie. Pardon de t'avoir fait ça.'
Le lendemain, grand-père m'a embarquée à l'hôpital. Je n'ai jamais eu le droit d'entendre ce qu'ils disaient avec un médecin grisonnant. Ils m'ont fait passer des tests, même si le spécialiste semblait septique et peu enclin à écouter grand-père. Puis, avant qu'on ferme la porte, avant qu'on me dise de rejoindre la gentille infirmière en blanc, j'ai vu le regard de l'homme qui m'a élevée.
C'était le même que celui d'Alaric.
Alaric, cet ami imaginaire que je n'ai jamais oublié.
Je ne me souviens plus vraiment de ce qui est arrivé par la suite, je sais juste qu'ils ... Me demandaient toujours de fixer la petite pendule qui tanguait de gauche à droite. Puis il a disparu. Du jour au lendemain.
Aujourd'hui, je sais que j'étais complètement folle.
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ECHOS - La sentinelle pourpre. T.1 ( 1er jet )
Ciencia FicciónQu'est-ce qui peut changer votre vie ? Une relation ? Un espoir brisé ? Gagner au Loto ? Devenir votre propre patron ? Tout foutre en l'air et partir pour une autre vie sous un coup de Folie ? Ces choses en apparence dérisoires qui peuvent avoir une...