Chapitre six

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Je m'installe dans la salle de SES. Je suis en avance, cette fois-ci. Je préférai qu'on me regarde, par petit groupes, lorsqu'ils entrent eux même dans la classe, plutôt que toute la classe se mette à me regarder lorsque j'entre. Le professeur lui-même n'était pas encore arrivé. Je sors mes affaires, mon ordinateur, mes anciens cours, lorsqu'une chaise à côté de moi bouge. C'est lui. Matthieu. Mon voisin. Dont je connais l'identité, depuis hier. Celui qui a tenté de me connaître, peut-être gentiment, ou peut-être que non. Je l'entends murmurer un bref « Salut » avant de se taire et de sortir ses affaires. La salle, quant à elle, se remplissait peu à peu, les murmures s'estompaient pendant quelques secondes lorsqu'ils entraient, puis reprenaient de plus belle en riant et se moquant de quelqu'un : moi. Les affaires de Matthieu se posaient de plus en plus lourdement, et sèchement. Comme s'il commençait à s'énerver, au fur et a mesure que les autres entraient. Je n'y faisais pas réellement attention, je relisais mes cours, en passant mes mains sur les lignes de braille, en tentant d'ignorer les murmures que j'entendais distinctement : « T'as vu comment elle est ? Toute droite, comme ça, haha ! » ; « Pfff, t'imagine un peu, sa vie ça doit être de la merde, relire ses cours H vingt-quatre, en passant sa main sur une feuille ! » ; « J'ai vue une fois sa sœur qui venait la prendre après chaque cours pour l'amener au suivant. Elle doit vraiment être un poids, la p'tite peut même pas faire ce qu'elle veut... » ; « Tu penses qu'elle aura un copain un jour ? Perso, je ne pourrais pas m'occuper d'elle sans arrêt ! Tu t'rends compte un peu ? Toujours devoir être là au cas où elle tombe, lui tenir la main... Bon, le bon côté c'est que si elle rentre et que son gars est avec une autre, elle les verra pas, et l'autre pourra se barrer sans soucis ! » ; « Le pire c'est qu'elle essaye même pas de s'intégrer ! » Je serrais les dents. J'étais un poids. Une cocue facile. J'entends la chaise de Matthieu se reculer brutalement, frottant contre le sol. Il se lève et je l'entends se diriger vers le fond de la classe, où tous ceux qui sont arrivés se sont réunis pour discuter.

- Vous en avez pas marre de parler sur elle ? Arrêtez de la critiquer, et regardez vous au lieu de la regarder elle, elle vaut bien mieux que vous tous réunis ! Et si elle s'intègre à aucun de vous tous, sales cons, c'est simplement parce qu'elle est critiquée par tout le monde bande d'enculés ! Et aussi parce que vous êtes tous trop idiots pour elle, j'suis sûr vous avez pas vécus la moitié de ce qu'elle a vécue.

Le silence se fait ressentir. Personne n'ose plus ouvrir la bouche. Même moi, je ne bouge plus d'un poil. Je tremble, même. Il venait de prendre ma défense ? Après ce que je lui avais fait ? Après l'avoir rembarré, hier ? Après l'avoir fait fuir ? Il était toujours à essayer de me... connaître ? Il revient alors vers moi, repoussant sa chaise pour s'asseoir. Je l'entends s'affaler sur le bureau, prêt à se rendormir. Je tourne la tête vers lui, le regard dans le vide, mais en tentant tant bien que mal de faire comme si je le regardais.

- Merci... Matthieu.

- C'est pas un souci. Il fallait bien qu'ils arrêtent à un moment où un autre. Et en fait... Bon anniversaire.

Je le regarde, bouche ouverte, sans savoir quoi dire, avant de refermer la mâchoire aussi vite que je m'en suis rendue compte. Je murmure un « Merci » avant de me retourner vers mon ordinateur, sentant mon sang me monter à la tête, et la chaleur avec. Comment avait-il su pour mon anniversaire ?


Le cours avait commencé depuis une bonne quinzaine de minutes, et je ne cessais de prendre note à chaque fois que le professeur en donnait l'ordre. Ni Matthieu ni moi n'avions retentés de parler, et les murmures me concernant avaient cessés depuis l'intervention de mon voisin, mais je savais que ça allait recommencer, dans les jours qui suivraient, cependant, ce que Matthieu avait fait m'avait réchauffé le cœur, et enlèverait ce poids lourd que je ressentais chaque jour depuis le début de l'année. Depuis plusieurs années, en fait.

Regard NoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant