- Moi.
Il finit sa phrase, d'un souffle, d'une voix, une petite voix, une voix que je n'avais encore jamais entendue. Une voix effrayée, peut-être, ou qui n'en croyais pas ce qu'il voyait. Et pas dans un sens émerveillé.
- Tu vois quoi ?!
- Je...
- Matthieu ! ma voix tremble mais j'essaye d'avoir l'air un minimum convaincante. Dis-moi !
- Ta sœur... Elle est un peu plus petite que toi, plus ronde, avec de longs cheveux blonds, lisses, de grands yeux verts et...
- Oui, oui c'est elle, tu la vois ? Matthieu, dis moi qu'elle va bien ? Eléonore ? Eléonore ça va ?
Pas de réponse, pas de respiration haletante, pas de présence qui viens me serrer dans ses bras en se jetant dans les miens, pas de la douce caresse de ses cheveux contre ma joue, pas son odeur venant m'embaumer... Rien. Je reprend, d'une petite voix, d'un murmure, d'un souffle.
- Eléonore... ?
- Cassandre je...
Il me prend dans ses bras, son parfum musqué, qui rappelle l'odeur du sable brûlant des plages du Sud m'embaume toute entière, les larmes me montent aux yeux.
- Je vais appeler la police, je suis désolé, ta sœur...
- Qu'est-ce qu'elle a ma sœur ?! Matthieu réponds moi ! Dis-moi ! Elle est blessée ? Dis moi si elle est là, ou si elle a disparue ou... !
Il me serre un peu plus et j'éclate en sanglot avant de me détacher de lui avec violence et tenter de rentrer dans la pièce, cherchant les murs et l'ouverture de la porte. Je la trouve enfin, et rentre dans la pièce, froide, gelée même. Je m'accroupis et cherche Eléonore par terre. Je trouve enfin son corps. Je ferme les yeux.
Je suis dans la pièce, je vois. Eléonore est là. Ses longs cheveux blonds cachent son visage rond. Je les vois pour la première fois. Je caresse ses cheveux de ma main, je vois mes doigts, fin et longs comme elle les avait décris quelques jours plus tôt. Mes mains se déplacent le long de son visage rond, dégageant ses cheveux, fermant ses yeux. De ses bras, froids dont les poils clairs sont hérissés, de ses hanches, remettant son débardeur bleu clair pour ne laisser apparaître aucune partie de son corps. De ses jambes et de ses pieds, pour les repositionner droits... Je lève la tête. Eléonore est dans le faisceau lumineux qu'offrent les rayons du soleil réussissant à se faufiler par les petites fenêtres. Je détourne le regard, cherche à découvrir la pièce. Elle est plongée dans l'obscurité ; comme dans mon rêve.
Il n'y a rien, que ma sœur, que moi. Je ressens la présence de Matthieu derrière nous. Il n'a appelé personne, il est transi de peur. Je sens sa peur. Je la ressens au plus profond de moi. Son souffle saccadé, les battements irréguliers de son cœur, la sueur qui perle sur son front, sur son cou.
Je détourne mon attention de lui. Je sens quelqu'un, quelqu'un d'autre, une autre personne, une autre présence, cachée dans l'obscurité, qui épie le moindre de nos mouvements, qui attend le bon moment pour sortir et attaquer. Je prends la main gelée d'Eléonore, me prépare à la tirer vers la sortie, mais quelque chose sort de l'ombre.
Un pied. Des ongles cassés, longs. Des tâches de sang. Je rouvre les yeux de surprise, poussant un petit cri de terreur.
Je suis à nouveau plongée dans mon vide habituel. Je cherche la présence d'Eléonore, que j'ai lâchée quelques instants plus tôt. Je la retrouve. Je m'agrippe à son bras, sans vie. Je cherche à la tirer, à la sortir de cette pièce, à partir, m'enfuir. J'ai réussi à voir. Voir, ou imaginer ? Je n'en ai aucune idée. Je n'y fais plus attention. Comment ais-je réussie ? Ça n'a plus d'importance. Si j'ai raison, la chose qui a attaqué, blessé, tué Eléonore fera la même chose avec moi, puis Matthieu... J'essuie mes larmes. Mes yeux me brûlent, mes joues sont en feu, mais je dois le faire, ne pas lui laisser son trophée, ne pas lui laisser Eléonore. Je cris, j'appelle Matthieu, je l'implore de venir m'aider, de porter Eléonore.
J'entends des bruits de pas. Pas une personne, mais deux, peut-être trois, je recommence à pleurer, je panique, je ne sais pas comment faire, je ne vois plus rien, je ferme les yeux, les rouvres, sans succès, comment faire pour voir de nouveau, ou imaginer ?
- Toi ! Viens nous aider ! Porte la morte. Je m'occupe de l'Empathe. Chrystal, occupe-toi de l'autre.
C'est une voix d'homme. Un garçon. Peut-être un peu plus vieux. Il parle d'Eléonore comme d'une simple... morte. Il parle de... Qui peut-être cet "Empathe" ? La chose ? Qui d'autre ? Et qui est Chrystal ? Qui est l'autre ?
Quelqu'un me soulève. Une présence forte. L'autre garçon. Je sens une autre odeur. Une autre que celle de Matthieu. Le tabac. Une odeur forte, mais pas désagréable. Il me fait lâcher la main d'Eléonore, je pousse un gémissement de protestation mais il est plus fort, et je n'ai plus la force d'essayer de résister. Il me prend par la taille avant d'attraper mes jambes. Je m'accroche par instinct à son cou et niche mon nez dans le creux de son épaule. Je me penche un peu plus sur son odeur : un peu mystérieuse, me rappelant l'odeur particulière de la terre du jardin après une grosse averse, mêlé à ce parfum de cigarette et de pin. Je ferme les yeux, détendue, oubliant ce qu'il venait de se passer, je me laisse porter.
Derrière nous, dans mon rêve éveillé, j'entends quelqu'un, je n'y fait pas très attention, mais dans le peu d'importance que j'y porte, j'entends des objets tomber, glisser, des rugissements, des cris, du verre qui se casse, des gémissements... Mais bizarrement, je ne fait attention à rien. Seule l'odeur de cet inconnu qui m'enveloppe de sa présence rassurante et protectrice m'importe.
Il me dépose finalement, et je pousse un gémissement plaintif lorsque son odeur apaisante disparait. Que se passe-t-il désormais ? Où suis-je ? Qui était cette personne ? Pourquoi Eléonore n'est plus avec moi ? Que ce passe-t-il dans le débarras ? Où est Matthieu ? Qu'avait-il fait ? Quelqu'un prend ma main. Le silence retombe. Plus rien n'est discernable.
- Matthieu ?
Je demande, d'une petite voix. Sans réponse.
- Eléonore ?
Ma voix tremble quand je prononce son prénom. Ma sœur, ma petite sœur. Elle ne peut pas être morte, ce n'est pas possible. Mais il n'y a toujours aucune réponse.
- Quelqu'un ?
- Oui ?
Cette même voix, qui a tout à l'heure donné l'ordre de déplacer Eléonore. Cette voix grave, masculine, qui va si bien avec l'odeur mystérieuse qui m'a enveloppée toute entière.
- Nous sommes tous là.
- Qui êtes-vous ? Pourquoi Matthieu ne m'a pas répondu ?
- Je suis là, Cassandre.
La voix de Matthieu me soulage. Il est là. Je soupire, rassurée avant de chercher sa présence de ma main libre. Il prend ma main tout en poursuivant d'un murmure.
- Je...
- Bien. Moi je suis Chrystal, fait une voix féminine à ma droite. Une voix douce, accueillante mais essoufflée. Et lui c'est Damon. On est comme toi, Cassandre.
- Comme moi ?
- Des Empathes. Mais ce n'est pas le moment pour les questions. On doit partir, et vite. lance le fameux Damon avant de finir. Matthieu, tu nous suis.
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Regard Noir
FantasyCassandre souffre, chaque jours, du regards des autres au lycée. Elle entend les critiques et les moqueries sur sa situation, mais elle ne fait rien. Elle a appris à vivre avec ce qui la différencie des autres. Alors oui, Cassandre est aveugle. Oui...