Chapitre dix

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Je ferme les yeux.

Je suis dans la voiture. Une bonne vieille jeep intérieure noire. Dehors, c'est la folie. Les balles fusent, les silhouettes se déplacent très vite. Comme si elles se matérialisaient à un endroit pour repartir à un autre. Deux silhouettes que je semblais connaître se battaient, corp à corp. L'une changeant son adversaire en verre dès qu'elle le touchait, l'autre se battant avec poignards et poings, sans pour autant ne pas créer de contact corporel. Chrystal et Damon. Plus loin, il y a quelqu'un qui viens de tomber, ou plutôt de se faire lâcher par un gros machin volant, aux ailes sans plumes, noires, aux griffes acérées à leur bout. Ses pieds crochus le tenaient par la capuche, ses mains se tenaient au bout des ailes, telle des serres. Une tête de femme, ou plutôt qui aurait pu y ressembler. Par terre, je connais aussi cette personne, sans pour autant l'avoir déjà vu. Matthieu. C'est lui, qui s'est fait attaqué. C'est lui, qui s'est fait emporté parce qu'il était avec moi. Parce qu'il m'aidait.

Et moi, je suis enfermée dans la voiture, pendant que les autres se battent, tentent de survivre, tentent de me protéger.

Je me lève, je vacille, je me sens mal, ma tête tourne. Je respire. Je me calme, bouge dans la voiture, m'en vais vers l'avant. Je cherche un bouton. Un bouton qui me permette d'ouvrir la voiture. Un bouton qui déclenche l'ouverture automatique. Appuyer sur tous les boutons ? Ce serait possible. Mais peut-être risquer. Qu'est-ce que ça peut faire, une voiture, à part rouler ? Si ça se trouvais, celle-ci était du genre la voiture de Batman, avec pleins de gadget et de machin pour combattre les ennemis. On ne sait pas ce qu'es le groupe, ce qu'il fait. Il pouvait y avoir des espions, des ingénieurs qui inventent ces trucs là.

Je me tourne et me retourne le crâne. Je cherche sur le tableau de bord. Je plonge dans mes souvenirs. Le bouton de la télé, lorsqu'Eléonore voulait que je lui allume. En tout cas, celui de la télécommande. Si ça se trouvais, c'était le même ? Un symbole identique ? Que je sache, beaucoup de choses sont les mêmes sur les objets : c'est plus simple pour s'y retrouver. Sur la télécommande, le symbole ressortait et se sentait sous la main, voilà pourquoi je savais où il était, pourquoi j'arrivais à allumer la télé sans rien voir. Je devais me souvenir de ce symbole. M'en souvenir, le dessiner dans ma mémoire, et le trouver dans la voiture.

C'est un cercle. Non. Pas exactement. Un truc ovale, une forme ovale. Avec un trou, vers le bas. Un tout petit, une ouverture, un vide. Puis quelque chose au milieu. Un autre cercle ? Non. Je cherche sur le tableau de bord quelque chose d'ovale. J'essaye de me souvenir de ce troisième élément. Une spirale ? Non. Un trait. Un bâton. Oui ! Je le trouve. J'appuie dessus.

Il y a un déclic dans la voiture. Les lumières s'enclenchent, la radio s'allume. J'avais réussi ? Ou bien n'avais-je réussi qu'à allumer cette fichue radio et faire s'illuminer toutes les lumières possibles et imaginables de la voiture ? J'ouvre une portière, me contorsionnant comme jamais dans la voiture, étroite.

La portière s'ouvre. Je tombe en avant, avant de me réceptionner sur les mains, forçant sur les poignets, les jambes toujours dans la voiture. J'avais réussi ? J'étais sorti ? J'avais trouvé le bouton ? J'allais pouvoir aider mes amis ? Je me forçais à ne pas ouvrir les yeux. J'arrivais à imaginer ce qu'il se passait, ou peut-être à le voir, en fait... Je ne comprenais toujours pas comment cela marchait. A vrai dire, je m'en fichais pas mal. L'important, en cet instant, c'était d'aider Matthieu, toujours à lutter pour ne pas se faire dévorer par le machin volant. A deux sans expériences, on valait tout autant qu'un seul avec des années d'entrainement... En tout cas, je l'espérais.

Je m'extirpais de la voiture, me trainant le moins que je pouvais, me remis debout, puis courut. Courut aussi vite que mes jambes qui ne connaissaient pas cette sensation me le permettait. Aussi vite que quelqu'un qui n'avait jamais été à une allure plus haute que la marche se le permettait. Je forçais. Je forçais sur mes jambes, maladroites. Je forçais sur mes pointes de pied, qui fatiguaient vite. Je forçais sur le mental. Je devais réussir. Je ne pouvais pas me permettre d'être là, et de regarder, sans rien faire. Je n'étais pas comme ça. Si je pouvais faire quelque chose, alors je le ferais.

Mais, et si je ne pouvais pas ? Et si la bête volante me dévorait à la place ? Et si elle n'attendait qu'une chose, c'était que je vienne aider Matthieu, pour qu'elle puisse m'emporter à sa place ? Alors cette fois-ci, si au moins une de ces hypothèses était bonne, alors c'était Matthieu l'appât, aujourd'hui.

Pas Eléonore. Matthieu.

Mais pourquoi réfléchir ? Pourquoi me torturer l'âme, comme le disait Damon ? Pourquoi ne pas faire ce que je pensais bon de faire ? Pourquoi ne pas aider quelqu'un, pour une fois, au lieu de me faire aider parce que je suis l'aveugle, la fille sans défense, l'Empathe qui a des visions du futur, l'handicapée, celle qui ne sait pas où elle va, la maladroite. Non. Aujourd'hui, maintenant, tout de suite, je n'étais pas aveugle. J'étais certes une Empathe, qui rêve du futur, qui découvre le monde, petit à petit. Mais je n'étais pas une handicapée. Je n'étais pas celle qui ne savais pas où elle allait. Je pouvais être maladroite. Je l'avais toujours été. Mais j'essayais. Je luttais contre la maladresse. Contre mes jambes qui voulaient que je tombe. Contre mon corp qui défaillait et épuisait toute mon énergie rien que du simple fait qu'il me faisait courir.

La bête s'apprêtait un porter un coup, peut-être fatal, à Matthieu. Les larmes perlaient sur mon visage, la douleur, si je pouvais appeler ça de la douleur, le laissait meurtri. Mais je réussi à arriver, à hauteur de Matthieu, à hauteur de la bête. Elle me dévisagea.

Son visage de femme semblait souffrir, lui aussi. Elle avait été défigurée, utilisée comme une arme. Elle avait souffert. Dans son regard, je voyais la souffrance. Je voyais la nostalgie. La peur. La tristesse. L'obligation. Je voyais sa vie, avant. Je voyais une famille, une petite fille, un époux. Un beau visage, une belle silhouette, dont un ventre rond. Puis les pleurs d'un bébé. Un massacre. Du sang. La mort. Puis un laboratoire. Ou une chambre d'hôpital. Sombre. Des cordes, des chaînes. Des médecins. Des ustensiles bizarres, qui ne m'inspiraient pas confiance. Puis j'ai ressenti sa douleur. La manière dont on l'a transformé, dont elle est devenue ce qu'elle est. Elle n'est pas naturelle. Elle est fabriquée. Elle ne devrait pas exister. Etait-ce pareil avec les autres ? Ces silhouettes qui se déplaçaient à une vitesse hallucinante ?

Elle ressert le poing. Elle m'observe. Elle laisse Matthieu. Je le sens se rendre compte de ce qu'il se passe. Je le sens ne rien comprendre. Je le sens choqué, surpris, inquiet, étonné... Il ne comprend pas. Je ne comprends pas non plus. Tout ce que je sais, c'est que je vois ce que la bête à endurée, que je comprends sa douleur, que je lui fais comprendre que je la ressens, moi aussi. Mais il y a autre chose, dans ses yeux.

Elle pousse un cri. Elle s'en va. Elle en pousse un second. Ses compatriotes ne sont plus dans l'Aire, avec nous. Il n'y a qu'elle, qu'elle et sa silhouette qui s'envole, qui se mêle aux autres oiseaux. Comme si elle se transformait en l'un d'eux.

Matthieu se lève. Je commence à rouvrir les yeux. Mes jambes ne me portent de nouveau plus. Je tombe. Quelqu'un à la peau mate est là, au dessus de moi, ses mains fortes me tiennent par la taille m'évitant ainsi de tomber. Il a les cheveux noirs, un peu longs, en bataille, légèrement ondulés. La sueur à mouillé les mèches de cheveux qui se tiennent au plus près de son visage. Je croise ses yeux. Ambrés, ou peut-être est-ce moi qui commence à voir de moins en moins nettement. Peut-être noisettes, verts clairs...

Je rouvre les yeux. Le néant.

Je perds connaissance.

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Regard NoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant