Chapitre vingt-sept

1K 107 11
                                    

- Mon amour ?

J'ai l'impression d'étouffer sur place. Dans quel délire était encore mon père ? Qu'avait-il ? Etait-ce ça, sa maladie ? C'était de la drogue, dans son organisme, c'est ça ? Ils lui avaient foutu n'importe quoi dans le sang, et du coup, il délirait depuis cinq ans ? Et pourtant, la bête s'était retournée. Je savais que si mes yeux étaient ouverts, ils seraient ronds, comme souvent étaient ceux de Matthieu, lorsqu'il était surpris, ou choqué... Et c'était même d'ailleurs exactement l'expression qu'il avait à cet instant précis. Les yeux ronds, la bouche béante... il ne comprenait pas plus que moi.

- Papa... t'approches pas... Elle est peut-être dangereuse...

- Tu crois vraiment que ta mère est dangereuse, mon cœur ?

Je ne réponds pas. Je me tais. Je n'entends pas s'il dit autre chose, si Matthieu dit lui aussi quelque chose. Tout se trouble autours de moi, et j'ai l'impression que des bocaux recouvrent désormais mes oreilles, étouffant le bruit qu'il était possible d'y avoir autours de moi. Ma tête tourne, mes tempes me font mal.

Ma mère ? De quoi parlait-il ? C'était vrai que... maintenant que j'y pensais... pour moi ma mère avait toujours été Annie. Même après qu'on m'ait appris qu'elle ne l'était pas. Je ne voulais connaitre que mon père. Comme si je savais que je ne verrais jamais ma mère. C'était étrange quand on y pensait. Je m'interrogeais, depuis ma plus tendre enfance, sur l'identité de mon père. Dès que j'ai su la vérité, que les Fringles n'étaient pas ma véritable famille... tout semblait faux. L'identité de ma grand-mère, celle de mon père... On m'a dit qu'il avait disparu, j'ai voulu connaitre la vérité. S'il était vivant, mort, entre les deux... ? Je l'avais rencontré, et je ne m'étais pas demandé ce qui était advenu de ma mère. Je n'ai jamais demandé à savoir qui elle était, ni au groupe, ni à mon père... je voulais juste savoir si mon père était en vie, qui il était, comment il était... C'était les seules questions que je me posais.

Et maintenant... Il disait que ma mère était la bête. Il disait que j'étais l'enfant d'une Harpie. Mais qu'est-ce-qui ne tournait pas rond dans sa tête ? Pourquoi hallucinait-il ? Je me répétais, je pensais sans arrêt les mêmes choses, je tournais en rond, dans ma propre tête. Comme si une mini-moi était dans mon cerveau et essayais d'ouvrir chacun des tiroirs uns par uns pour comprendre ce qu'il se passait et essayer d'assembler toutes ces choses. Mon esprit s'était littéralement effondré, tout au fond de moi.

Il me sert la main. Qui ? Matthieu. Il était toujours là, lui. Il avait compris quelque chose ? Il était du même avis que moi ? Il pensait lui aussi que mon père était devenu fou ? Est-ce que ça se soignais ? Est-ce que le remède de Damon allait le soigner ? Ou est-ce que c'était comme ça, et ça le restera... ?

- Samuel, éloignez-vous ! fais la voix de Matthieu.

Je commence à entendre mieux. Comme si les bocaux s'étaient brisés, ou avaient étés ôtés.

- Non, tu ne comprends pas Matthieu...

- Si monsieur, vous hallucinez. Ce n'est pas la mère de Cassandre, c'est une Harpie, un monstre. Elle n'est plus celle que vous pensez qu'elle est.

Je vacille. Alors Matthieu s'y mettait aussi ? Lui aussi hallucinait ? Pourquoi étais-je la seule lucide ici ? Pourquoi étais-je la seule à penser que cette bête ne pouvait pas être ma mère ? Et comment cela se faisait-il que Matthieu suive mon père dans son délire ? Il avait bu quelque chose ? Fumé quelque chose ? Matthieu était un cancre. Mais il n'était pas con. Il était lucide, même s'il ne le montrait pas souvent, et pourtant... Pourtant il croyait à la chose la plus improbable de tous les temps.

Regard NoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant